Avocat membre de la Commission internationale de juristes(1) (CIJ), Ramón Cadena fait partie de la tournée organisée en Suisse et en France du 16 au 28 septembre prochain, avec le Collectif Guatemala. Il accompagne par un appui juridique les communautés du Petén affectées par les activités de l’entreprise Perenco et a récemment présenté le rapport : « Accès à la justice. Le cas des communautés des municipalités de San Andrés et La Libertad, département du Petén ». Il a participé aux projections-débats au Guatemala du documentaire « Des dérives de l’art aux dérivés du pétrole » de Grégory Lassalle(2). Extraits choisis de ses présentations.
D’abord, je voudrais remercier Grégory Lassalle et le Collectif Guatemala pour le documentaire qui présente le quotidien des communautés du Petén. En tant que représentant de la CIJ, je suis les communautés depuis 2010, lorsqu’elles nous ont sollicités afin d’analyser la situation. C’est un réel honneur que celui de travailler avec des dirigeants si engagés, et tellement clairs dans leur lutte. […] Quantité de droits sont violés dans la région. Je focaliserai cependant sur l’un des aspects présentés dans le film : le droit à l’égalité de traitement, sans cesse bafoué par les procureurs, les juges et le secteur privé.
Le problème c’est que la politique raciste et d’exclusion existante vient de l’Etat. Les inégalités se reflètent partout, mais si l’on se concentre sur le droit d’accès à la justice que nous analysons dans notre rapport, on remarque qu’il y a une justice pour ceux qui en ont les moyens économiques ou pour ceux qui peuvent se payer un avocat et que ce n’est pas le cas des communautés pauvres. De plus, quand elles parviennent jusqu’au tribunal, leur demande de justice est systématiquement rejetée. Il n’existe pas de tribunal capable de rendre justice en langue Maya, il n’y a pas de défense publique générale gratuite, accessible à tous. Finalement, dans le droit d’accès à la justice, il y a une totale inégalité, alors qu’une des caractéristiques de ce droit est qu’il devrait être égal pour toutes et tous.
En plus de ce constat, on assiste également au pillage, non seulement de biens matériels mais aussi spirituels et culturels des peuples autochtones, résultat d’un racisme ambiant extrême. Comme on le voit dans le documentaire pour la préparation de l’exposition sur l’art Maya au musée du Quai Branly : comment est-ce possible qu’une famille possède quasiment un musée dans sa maison ?
En ce qui concerne la terre, on assiste également à un pillage permanent. Ces communautés revendiquent à juste titre le droit à la terre après avoir été déplacées, et subi l’exil forcé. Victimes d’expulsions forcées, de la part de l’Etat guatémaltèque, ces personnes vivent aujourd’hui dans des conditions infrahumaines, de pauvreté extrême, sans aucune autorité de l’Etat intéressée à résoudre ce problème humain. Par contre, l’Etat est bien présent lorsqu’il s’agit de représenter l’art Maya dans les expositions à l’étranger, qui représentent un pillage des ressources …
Cette histoire se répète depuis la conquête espagnole. Il y a eu crime de génocide pendant le conflit armé. Un premier génocide avait eu lieu lors de la conquista et aujourd’hui, on assiste à une nouvelle agression, non seulement culturelle mais aussi économique contre les peuples autochtones. Ce n’est pas possible que cela reste inaperçu.
Au Guatemala, depuis la conquista et jusqu’aujourd’hui, il a un système de ségrégation raciale, comme celui qui a existé en Afrique du Sud, qui constitue un crime. Le problème est que la communauté internationale est laxiste en termes d’analyse du racisme dans ce pays. Il s’agit d’un thème que nous devrions travailler plus, et au niveau juridique aussi.
Le documentaire revient sur ces contrastes : la richesse de Perenco, des personnes qui apparaissent en France, au musée... cette contradiction qui existe entre les richesses générées par l’exploitation minière, les barrages hydroélectriques, etc. face à l’extrême pauvreté. Comment peut-on nier qu’il existe un racisme si l’extrême pauvreté est omniprésente dans les communautés et les peuples autochtones ? Comment est-ce possible de nier cela ?
Finalement, je dirais qu’il y a des témoignages qui nous mènent à la réflexion suivante : quel genre d’Etat avons-nous aujourd’hui ? Et quel genre d’Etat souhaitons-nous construire ? Est-ce que nous voulons continuer avec un Etat raciste qui joue le jeu des partis politiques, des entreprises, des multinationales, ou est-ce que l’on va réellement travailler pour la construction d’un nouvel Etat guatémaltèque ? Pour cela, il est très important que les communautés s’unissent, car c’est la seule façon de faire face à cette attaque si forte des multinationales, de Perenco, de Cementos Progreso, de Golcorp, de Hudbay Inc. - aujourd’hui remplacée par une entreprise russe - , et de toutes ces multinationales qui agissent avec la complicité de l’Etat. Les peuples autochtones doivent s’unir et s’organiser.
1. La CIJ dont le siège est à Genève, est une ONG internationale qui défend le droit pour l’accès à la justice. Au Guatemala, actuellement la CIJ travaille conjointement avec l’Association d’Avocats et Notaires Mayas sur une plainte devant la Commission Interaméricaine de Droits de l’Homme, face au déni de justice du système national. Récemment, le bureau au Guatemala a appuyé des communautés de Nebaj (région Ixil, Quiché) sur un cas d’expropriation illégale de terres pendant le conflit armé interne.
2. Bande annonce du documentaire.