J’arrive en France en janvier 1979 et retrouve Arturo Taracena et Miguel Angel Sandoval. Outre l’amitié, nous avions en commun à cette époque-là d’être des ex-militants de l’Armée de guérilla des pauvres (EGP).
Sur le plan politique, le Guatemala vivait une période de transition. Après la période de relative ouverture des années du général Eugenio Laugerud García (1974-1978), le Guatemala est en effervescence. 1979 sera une année charnière, symbolisée par le triomphe des Sandinistes au Nicaragua, la mobilisation croissante des organisations populaires dans la campagne, dirigées par le Comité d’unité paysanne (CUC) et l’offensive de plus en plus puissante des organisations politico-militaires. La répression va atteindre son paroxysme à partir 1980, avec l’incendie de l’Ambassade d’Espagne.
Le Collectif Guatemala est né dans ce contexte-là, à l’initiative principale de Miguel Angel et d’Arturo. Nous étions une petite poignée de Guatémaltèques. Comme d’autres initiatives dans d’autres pays d’Europe, le mouvement de solidarité dénonce la répression et soutient ouvertement les organisations politico-militaires. Pour les Guatémaltèques en exil, ex-militants ou sympathisants (pour certains étudiants guatémaltèques, leur séjour en Europe va leur faire découvrir une autre vérité), la solidarité va être aussi un moyen de se réinsérer, de reprendre une filiation organique avec les organisations révolutionnaires. Miguel Angel part pour le Mexique et quelque temps après Arturo va être désigné représentant de l’EGP en France et de l’Unité révolutionnaire nationale Guatémaltèque (URNG) en Europe. Après le départ des fondateurs, le Collectif cherche sa voie. Il est quelque peu orphelin, orphelin de légitimité. Les organisations révolutionnaires s’étaient dotées des représentations officielles et le Collectif ne jouait plus ce rôle implicite.
De plus, l’orientation de soutien à l’URNG ne « prend » pas (la guerre de guérilla n’est pas populaire, ni au gouvernement, ni dans les médias, ni auprès des ONG humanitaires). Nous peinons à être écoutés. Pendant un certain temps, le bulletin du Collectif, Solidarité Guatemala, va devenir un peu notre raison d’être : notre crédibilité passait par la qualité de notre revue, tant sur le fond que sur la forme. Mais nous restions relativement isolés.
1984 va marquer le point de départ d’une autre époque pour le Collectif. Après la période de « chape de plomb » totale de 1980 à 1984, les organisations populaires guatémaltèques vont peu à peu émerger à la vie publique. Le Groupe d’appui mutuel des familles de disparus (GAM) est le premier et sera suivi peu à peu par d’autres organisations (les veuves, les déplacés internes, les réfugiés au Mexique, etc.). Le Collectif a de nouveau un lien direct avec des organisations populaires sur le terrain. La défense des droits de l’homme et le soutien aux organisations populaires qui détenaient la légitimité de ce nouveau combat, vont devenir le cœur de l’action du Collectif. Peu à peu nous allons devenir le centre de gravité d’un mouvement de solidarité concrétisé dans « l’inter-collectif Guatemala », avec la Fondation France Libertés, l’ACAT, la Cimade, la FIDH (Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme), le CCFD et d’autres. L’Inter-collectif va mener une activité militante intense, dès l’organisation de manifestations tous les premiers vendredis du mois devant l’Ambassade du Guatemala (dès 1985), en passant par le bulletin qui devient une « lettre », jusqu’au point culminant que fut la campagne pour le prix Nobel de la Paix entre 1991 et 1992. C’est à cette époque, avec l’accélération du processus de négociations de paix, que va naître une autre orientation du Collectif : l’accompagnement des organisations et des personnes menacées par la répression, orientation qui perdure encore…