« Le gouvernement actuel est idéal pour l’ambassade nord-américaine » : entretien avec Gregorio Chay

Du 22 au 26 juin dernier s’est tenue à San Salvador la XXIIème édition du Forum de São Paulo, rencontre annuelle des mouvements sociaux et partis politiques progressistes d’Amérique latine. Les trois principaux partis de la gauche guatémaltèque y étaient représentés : Winaq, Convergence pour la révolution démocratique (CRD) et Union révolutionnaire nationale guatémaltèque (URNG). Profitant de cet espace d’échanges d’analyses sur la conjoncture régionale latino-américaine, nous avons pu rencontrer Gregorio Chay. Maya quiché, ancien dirigeant de l’Armée guérillera du peuple (EGP), il a été élu en mai 2015 secrétaire général de l’URNG (1). Il partage avec nous ses réflexions sur la situation au Guatemala.

Gregorio Chay lors du Forum de São Paulo

L’année dernière, il y a eu de très grandes manifestations au Guatemala, qui ont suscité de grands espoirs, suivies par un changement de gouvernement, après des élections qui, pour beaucoup, ont été une déception. Comment évaluez-vous ce processus et quelle est votre analyse de la situation actuelle ?

Ce qui se passe actuellement est le résultat de la crise d’un modèle politique, développé depuis la contre-révolution de 1954 (2), quand a été créé un modèle de partis politiques contre-révolutionnaire. Ce modèle a par la suite acquis un caractère contre-insurrectionnel puis, dans les années 80, un caractère néolibéral. Ce système, pour des raisons propres à sa nature, est entré dans de sérieuses contradictions, car il s’est maintenu en grande partie sur la base de la corruption.

La contre-insurrection elle-même a créé des pouvoirs parallèles afin de piller l’Etat, dans un but d’enrichissement personnel, mais également pour financer la guerre contre-insurrectionnelle. Dans le cadre de ce modèle, ce sont ces structures parallèles qui sont entrées en contradiction. C’est à ce moment qu’intervient l’ambassade états-unienne, qui canalise ces contradictions, coïncidant ce faisant, dans une certaine mesure, avec une revendication que nous avions lors des Accords de paix : combattre ces groupes parallèles.

Cela fait déjà six ans que la CICIG (Commission internationale contre l’impunité au Guatemala) a été créée, mais elle n’avait pas été efficace. Aujourd’hui de nombreux facteurs convergent et on commence à mettre à jour et à démanteler ces mafias. Nous savons que tout cela répond à des objectifs propres aux Etats-Unis, propres à leur politique d’ingérence, avec des objectifs dans la région, de nature géopolitique et géostratégique. Mais ceci nous place également dans une conjoncture favorable, car la corruption est néfaste pour le pays, les groupes parallèles sont néfastes. C’est donc une opportunité pour le mouvement révolutionnaire, le mouvement de masses, de nettoyer les structures de l’Etat et de nous réarticuler pour que dans cette conjoncture ne jouent pas seulement les intérêts extérieurs, mais aussi les intérêts propres du peuple du Guatemala.

La mobilisation est moindre aujourd’hui et le parti FCN (Front de convergence nationale), qui a gagné les élections, est formé de militaires de ligne dure. Dans cette situation, quels sont les espaces pour le mouvement populaire, tant social que politique, pour se développer ?

Une grande partie des mobilisations de l’année dernière n’a pas été provoquée par des intérêts nationaux. Au contraire, ceux qui sont intervenus ont réussi à modifier le résultat électoral et le mouvement social organisé n’a eu qu’une faible participation. Néanmoins, il est en train de se remettre et en ce moment il participe plus et avec son propre programme. Nous soutenons ce mouvement. Nous savons que le gouvernement actuel est idéal pour l’ambassade nord-américaine car c’est un gouvernement sans pouvoir, totalement manipulable et représentatif des intérêts de la haute hiérarchie militaire.

Ce dernier aspect se reflète actuellement dans le refus du gouvernement d’augmenter le budget de l’Etat, et dans le transfert de travaux publics et de budgets au ministère de la Défense, alors que ceux-ci relèvent du ministère des Communications. On assiste même à la fabrication de pupitres scolaires par l’armée, tâche qui ne lui revient pas, sur le budget de l’Etat. Ce gouvernement essaie ainsi de sauver ou de fortifier la hiérarchie militaire et le pouvoir de l’armée. Tout ceci constitue un retour en arrière, c’est négatif.

Ces pouvoirs profitent de la faiblesse de ce gouvernement. C’est un gouvernement qui n’a remporté aucune municipalité des plus de 300 qui existent dans le pays, qui n’a remporté que dix sièges de députés. C’est donc une force très faible et très manipulable.

Vous avez mentionné à plusieurs reprises les intérêts des Etats-Unis et leur intervention dans la politique guatémaltèque. A ce sujet, que pensez-vous de l’Alliance pour la prospérité ?

Ce qui est rendu public, ce qui est écrit sur le papier, c’est qu’il s’agit d’un objectif de l’ambassade du gouvernement des Etats-Unis pour réduire l’émigration vers leur pays. Il s’agirait donc de créer les conditions pour la promotion de l’emploi dans trois portions territoriales de chacun des trois pays du plan. C’est ce qui est sur le papier. Mais nous savons que ce plan a des objectifs géostratégiques très clairs face à la révolution sandiniste [au Nicaragua], à la révolution salvadorienne et au mouvement révolutionnaire en général.

Cette Alliance pour la prospérité créerait une espèce de zone franche où il y aurait de l’investissement mais avec des incitations fiscales et probablement des salaires différenciés. Ceci attirerait du capital nord-américain et des entrepreneurs des trois pays participants. Tout ceci fournira certainement plus d’emploi, mais dans des conditions moins favorables pour les travailleurs. Les gouvernements ont accepté cela et vont le promouvoir. Pour notre part, nous pensons qu’il y a des objectifs qui vont plus loin et nous allons y être attentifs, bien que sa concrétisation soit désormais un fait.

Cette année seront célébrés les vingt ans de la signature des Accords de paix. Néanmoins, de nombreux sujets demeurent en suspens, nous l’avons récemment vu avec la Marche pour l’eau par exemple (3). Quel est votre regard sur la situation vingt ans après ?

Il n’est pas très difficile d’arriver à la conclusion que les objectifs fixés dans les Accords n’ont pas été atteints. Du point de vue stratégique et des intérêts nationaux, l’objectif avait été fixé de surmonter les causes qui avaient provoqué le conflit armé interne et d’établir les bases d’un nouveau développement du pays. Cet objectif n’a pas été atteint. Il y a eu beaucoup d’investissements, beaucoup d’institutions ont été créées. Nous pouvons même dire que, proportionnellement, il y a eu une grande application numérique des engagements pris, mais l’essence n’est pas là. Nous pouvons donc dire très clairement que les pouvoirs derrière les gouvernements ont réussi à changer l’essence, à dénaturer, à fausser le contenu des Accords de paix. Leur application a été beaucoup plus périphérique et formelle que substantielle.

"Bienvenue frères inernationalistes", affiche lors du FSP 2016

Nous sommes au Salvador, au Forum de São Paulo. Que représente cette rencontre pour l’URNG ?

C’est une rencontre qui renforce l’unité des peuples, l’unité des révolutionnaires, l’unité latino-américaine. Elle est très bien organisée par le FMLN (4) et réussie dans ses résultats. Tous les événements ont été chargés de mystique, d’un grand contenu révolutionnaire et je crois que, comme nous, tous les participants repartent très renforcés.

Quels sont les défis de l’URNG dans les années à venir ?

Notre grand défi est de nous réarticuler, car ce que l’armée n’a pas réussi à faire pendant la lutte armée, le système a réussi à le faire durant la période de paix, c’est-à-dire nous diviser et nous affaiblir. Cela, nous devons le reconnaître. Mais toutes les personnes qui ont participé, lutté, ont rêvé à une patrie libre, sont là, elles ne sont pas devenues contre-révolutionnaires, elles ne sont pas parties ailleurs. Notre défi est donc de réarticuler cet ensemble social et de l’unir avec les nouvelles générations qui veulent un pays pour le peuple. Nous allons nous dédier à cet effort, qui ne va pas avoir de résultats immédiats mais à moyen et long terme, en faveur des nouvelles générations.

Pour conclure, un message au peuple de France ?

Bien sûr, dans tous les pays il y a des peuples opprimés, marginalisés. Au peuple de France, qui a donné de nombreux enseignements au monde, nous voulons simplement lui dire que nous devons lutter, chacun dans notre pays, et établir des liens de solidarité et de luttes en commun.■

Notes :

1. Ancienne guérilla, devenue parti politique légal suite aux Accords de paix.
2. Année du renversement du gouvernement progressiste de Jacobo Árbenz, dans une opération directement soutenue par la CIA, ouvrant une longue période de dictatures militaires.
3. Sebastián Escalón et Simone Dalmasso , « Six marcheurs pour l’eau », Plaza Pública, 22.04.16, traduit sur le site du Collectif Guatemala
4. Front Farabundo Martí pour la libération nationale, ancienne guérilla et parti actuellement au pouvoir au Salvador.

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