À l’occasion de la 21ème Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21), qui s’est tenue à Paris-Le Bourget du 28 novembre au 11 décembre, Carlos Guarquez Ajiquichi, directeur exécutif de l’Association guatémaltèque de maires et autorités autochtones (AGAAI), s’est rendu en France. Maya kaqchikel et ancien conseiller municipal de Sololá, il a partagé avec Solidarité Guatemala ses analyses et impressions.
Pouvez-vous nous présenter l’AGAAI ?
L’AGAAI regroupe les maires autochtones du pays désignés par élection populaire. Le 6 septembre dernier, 115 maires ont ainsi été élus L’association a aussi pour rôle de fortifier les autorités autochtones, présentes dans plus de quarante municipalités, qui sont des autorités propres des peuples autochtones et qui ont une fonction très importante, contribuant à l’équilibre, à la paix et à la tranquillité des communautés. Si l’on étudie les statistiques de la violence au Guatemala, celle-ci est moindre là où existent des communautés autochtones. C’est pourquoi nous considérons que l’Etat du Guatemala a une très grande dette à l’égard des autorités autochtones.
Nous avons beaucoup de défis à relever au Guatemala dans les domaines du développement à dimension culturelle et linguistique. L’AGAAI est reconnue dans deux lois. L’une est l’article 19 du Code municipal, l’autre la récente loi 7-2013 sur le changement climatique qui nous donne une représentation dans le Conseil national du changement climatique. C’est le dernier défi qu’il nous reste à relever, celui de la défense de la nature. Nous promouvons déjà les consultations préalables et informées, prévues par la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail. De la même façon, nous avons essayé de défendre le territoire et de développer des actions concrètes avec les autorités municipales autochtones pour avoir une gestion pertinente culturellement et linguistique et surtout impulser le développement local avec identité.
Quelle est la raison de votre présence en France ?
Comme nous faisons partie du Conseil national du changement climatique, nous avons exigé du gouvernement qu’il nous fournisse une accréditation et nous permette de participer à la COP 21. Mais ils nous ont fourni une accréditation « différente », qui ne couvre pas toute la durée de la conférence, pour essayer d’exclure les secteurs les plus affectés du pays. Au début, ils ne voulaient pas que les représentants des communautés viennent et puissent participer et influer sur les droits des peuples autochtones dans la COP.
Comment le changement climatique affecte-t-il le Guatemala et plus particulièrement les peuples autochtones ?
Le changement climatique et le réchauffement global n’ont pas été provoqués par les peuples autochtones ni par les pays pauvres, mais par les pays développés. La façon d’être de la Terre mère a changé car ils l’ont beaucoup polluée. Nous ne sommes pas responsables mais nous sommes ceux qui sont le plus fortement touchés. Au Guatemala, le glissement de terrain à El Cambray, où sont mortes plus de cent personnes, en est un exemple. Les tempêtes tropicales, la chaleur, les maladies exotiques se développent et les communautés autochtones sont les plus touchées car elles sont les plus vulnérables : absence d’hôpitaux, dénutrition chronique des enfants, pauvreté extrême…la population survit à peine, elle n’a pas les moyens de s’adapter au changement climatique. Les gouvernements successifs n’ont pas eu la volonté d’améliorer la vie des citoyens ; au contraire la corruption a augmenté. L’emprisonnement de Pérez Molina et de Baldetti est une avancée pour la justice mais pas pour le développement du pays. Avec la crise actuelle il est très compliqué de parler de mitigation du changement climatique.
Au Guatemala la loi établit la surveillance et l’adaptation, mais ce n’est pas possible à réaliser si nous ne changeons pas le monde, si nous n’aidons pas la Terre mère. Nous devons prendre des mesures concrètes pour au moins minimiser le changement climatique. Mais si nous ne faisons que nous adapter et mitiger les effets, nous n’aidons pas la Terre mère. Au contraire, nous acceptons la maladie qu’ont créée d’autres pays. Les Nations unies devraient prendre des mesures concrètes et imposer des sanctions drastiques aux entreprises transnationales qui sont les principales responsables du changement climatique.
Qu’attendiez-vous de la COP et quels ont été les résultats ?
C’est la première fois que je participe à une COP. Au Guatemala ce sujet est très peu connu, de même que les actions « en faveur de l’environnement ». J’espérais qu’ici nous pourrions avoir « la voix chantante » comme nous disons, une voix directe pour qu’ils nous écoutent et nous prennent en considération. Mais je me suis rendu compte que la structure des Nations unies est très complexe et bureaucratique. Je considère que ce type de structure est volontairement conçu pour que ne s’infiltre pas l’information en faveur des peuples autochtones et des pays moins développés. Dans certains cas, l’État guatémaltèque ne peut même pas parler en son nom, d’autres pays parlent pour lui.
Nous ne partageons pas cette façon de faire, car d’après notre cosmovision le dialogue doit être direct et il y doit y avoir consultations et information permanentes et décisions collectives. Je crois que la méthodologie des Nations unies a limité l’amélioration des choses dans le monde.
En dehors de la COP, vous avez participé à des initiatives de la société civile. Qu’en retenez-vous ?
Je n’ai participé qu’à quelques moments de la COP alternative, mais je la considère beaucoup plus inclusive, bien qu’elle ait besoin d’une stratégie plus définie pour qu’entre nous nous agissions et qu’il y ait des résultats concrets pour nos communautés. Sinon, nous pouvons pleurer ensemble, mais si nous n’agissons pas avec une stratégie politique et technique nous restons à la marge de tout ce processus qui, malheureusement, va à cent à l’heure.
Quelles sont les alternatives que proposent les peuples autochtones ?
Nous croyons que l’on a manqué de respect à la Terre mère et qu’il faut récupérer les valeurs culturelles de la cosmovision des peuples autochtones, mayas dans le cas du Guatemala, mais aussi au plan de l’Amérique latine. Nos ancêtres agissaient avec respect pour la Terre mère, de façon harmonieuse. L’Homme n’est pas tout-puissant mais un protecteur de la Terre mère. Mais nous devons également avoir une organisation beaucoup plus forte et solide, avec des propositions pour peser de manière unie dans la COP. C’est dans ce sens que nous lançons un appel à tous les pays latino-américains pour que les peuples autochtones soient une seule force et élaborer une stratégie concrète.
Dans la cosmovision autochtone, nous n’agissons pas pour nous-mêmes mais pour le bien de la société et de la Terre mère. C’est un ensemble de relations de complémentarité entre tous les êtres humains et entre tous les êtres vivants, ce qui inclut dans notre cosmovision les pierres, l’eau, l’air, la pluie, le soleil, la lune…C’est une façon de percevoir le monde. Nous avons des guides spirituels, appelés aj q’ij, qui sont chargés de parler avec le cosmos. En défendant la Terre mère les peuples autochtones agissent pour tout le monde car c’est elle qui nous donne la vie. Nos cultures sont différentes mais nous recherchons l’unité dans la diversité.
Quelles suites allez-vous donner à votre séjour à Paris ?
Le défi est de mener des actions concrètes et de mieux nous articuler. Dès mon retour, nous allons évaluer si nous avons avancé sur le sujet ou au contraire reculé, pour nous préparer à la COP22.
Merci d’avoir partagé votre expérience avec nous
Merci au Collectif Guatemala. Nous vous encourageons à continuer à aller de l’avant car c’est une preuve de solidarité envers les peuples autochtones latino-américains et particulièrement du Guatemala. Un salut à vous tous et nous espérons pouvoir atteindre ce que dit le Pop Wuj (1) : qu’aucun groupe ne reste en arrière des autres, que nous recherchions tous ensemble le bien vivre pour nos communautés. C’est ce que nous voulons. Je sais que c’est difficile car nous ne sommes pas au gouvernement et celui-ci ne nous donne pas d’opportunités, il nous a marginalisé et exclus des politiques, actions et décisions qui sont en train d’être prises. Je finis par un appel aux Nations unies à être plus inclusives dans ce processus.
1. Livre sacré maya-quiché