Alliance pour la prospérité : nouveau départ ou vieux intérêts ?

Le projet d’Alliance pour la prospérité, élaboré à la suite de la récente crise provoquée par l’afflux de mineurs centraméricains non accompagnés aux États-Unis, est présenté comme un nouveau départ et une opportunité inédite de développement conjoint pour les pays du Triangle nord de l’Amérique centrale. Toutefois, à contre-pied du discours officiel, de nombreuse voix s’élèvent pour dénoncer un projet vu comme inutile, voire nocif pour les peuples concernés.

Les présidents du Honduras, du Guatemala et du Salvador et le vice-président des Etats-Unis, lors d’une réunion à Ciudad de Guatemala, 2 et 3 mars 2015 (photo : Prensa Libre)

En mars 2014 éclatait aux États-Unis la crise des mineurs migrants. Si, du fait de l’amélioration du climat à cette époque, ce mois voit chaque année une augmentation du nombre d’interpellations de mineurs sans-papiers non accompagnés, les chiffres de 2014 atteignirent des records. En effet, pour l’année fiscale 2014, 67 339 mineurs furent arrêtés, contre « seulement » 38 045 pour 2013(1). Cette crise soudaine provoqua aux États-Unis une vague d’attention médiatique, partagée entre la pitié devant les images d’enfants incarcérés et expulsés et l’agitation de la menace d’une invasion migratoire. Venus pour les trois quarts d’entre eux du Guatemala, du Salvador et du Honduras, ces migrants devinrent l’illustration des conséquences de la pauvreté persistante dans cette région du « Triangle nord » de l’Amérique centrale.

En réponse à cette crise, les gouvernements des pays de la région, aidés par la Banque interaméricaine de développement (BID), élaborèrent en septembre 2014 le document « Lignes du Plan de l’Alliance pour la prospérité du Triangle nord ». Le but de cette alliance, dont le nom rappelle furieusement l’Alliance pour le progrès, fondée en 1961 par le président des États-Unis, John F. Kennedy, pour contrer l’attrait de la révolution cubaine en Amérique latine, est de mettre fin aux causes de cette émigration. Celles-ci sont identifiées comme étant le faible taux de croissance et le manque d’attractivité des économies nationales, provoquant chômage et pauvreté ; le manque et la faible qualité des services à la population (éducation, santé, logement) ; le haut niveau de violence et d’insécurité et la faiblesse des systèmes judiciaires ; et enfin le manque de confiance dans les institutions de l’État(2).

Le Plan de l’Alliance fut endossé par le gouvernement états-unien en la personne de son vice-président Joe Biden, qui s’est fait l’avocat de l’adoption par le Congrès d’une aide d’un montant d’un milliard de dollars, soit une augmentation de 400%. Dans une colonne publiée dans le New York Times3, Biden proclame ainsi le besoin d’un « changement systémique » en Amérique centrale afin que la région devienne « la prochaine success story dans l’Hémisphère occidental », prenant le Plan Colombie comme exemple à suivre.

Toutefois, malgré les affirmations d’une nouvelle ère dans les politiques de coopération, de nombreux acteurs pointent le fait que le Plan de l’Alliance pour la prospérité n’est en réalité que « la continuité de tout ce qui a été fait durant les cinq dernières décennies »(4) et qui a mené à la situation actuelle. C’est ainsi que, selon Joe Biden, « les économies d’Amérique centrale ne peuvent croître qu’en attirant les investissements internationaux » et les entreprises locales doivent « tirer le maximum des traités de libre-échange existants avec les États-Unis ». De telles politiques n’ont rien de neuf, bien au contraire. Depuis le renversement du gouvernement de Jacobo Arbenz en 1954, les politiques successives « d’exportations non-traditionnelles et de maquila dans les années 1970, d’ajustement structurel dans les années 1980, de privatisation dans les années 1990 et enfin de promotion des industries extractives et de l’agro-business destiné à l’exportation dans les années 2000 ont eu pour seul effet d’aggraver les inégalités économiques et sociales et de créer un nombre réduit de puissants groupes économiques »(5).

Cette continuité transparaît clairement dans les « Lignes stratégiques d’action » du Plan, parmi lesquelles figurent la « promotion de secteurs stratégiques et l’attraction des investissements », la « réduction des coûts de l’énergie et la fiabilité du service électrique », la « facilitation du commerce international » ou encore la modernisation et l’extension des infrastructures et des corridors logistiques. Tout ici rappelle les politiques de « développement » mises en œuvre depuis des années par le gouvernement guatémaltèque et imposées contre leur volonté aux populations paysannes et indigènes

Car ce sont bien les intérêts des « investisseurs » qui sont au centre du Plan, l’amélioration des conditions de vie et de travail de la population pauvre n’étant conçue que comme conséquence du progrès de ces intérêts. Les politiques d’investissements publics dans des domaines tels que la santé ou l’éducation ne figurent ainsi qu’au second plan des lignes directrices du Plan, sous l’optique de la « construction du capital humain ». De même, les municipalités concernées par les projets de développement n’ont pas été sélectionnées du fait de leur fort taux de pauvreté ou du taux de migration important de leurs habitants vers les États-Unis, mais du fait de leur potentiel à attirer les investisseurs privés, notamment étrangers.

Difficile d’imaginer pourquoi, cette fois-ci, les vieilles recettes produiraient de meilleurs résultats. D’autant que, loin des intentions affichées dans leurs déclarations publiques quant au besoin de développer l’emploi formel et de qualité, ni le gouvernement guatémaltèque ni celui du Honduras ne respectent les droits fondamentaux du travail, comme l’illustre la récente instauration d’un « salaire différencié », inférieur au salaire minimum, dans quatre municipalités du Guatemala, mesure dénoncée par le Procureur des droits de l’Homme comme « violant les principes fondamentaux de la Déclaration des droits de l’homme et de la Constitution »(6). L’absence totale du Mexique dans le Plan interroge elle aussi, la totalité des migrants centraméricains transitant par ce pays, où ils sont victimes de nombreux abus.

L’autre sujet de préoccupation majeur pour les organisations de défense des droits humains est le fort risque que le Plan serve à approfondir les politiques de répression et de militarisation de la région. Dans une lettre ouverte destinée aux présidents concernés, des dizaines de ces organisations ont ainsi affirmé que le Plan perpétuait « les mêmes politiques de militarisation de la sécurité publique, qui sont devenues synonymes des horreurs de la guerre contre les drogues », pointant notamment la militarisation des frontières comme étant une source majeure de violation des droits des migrants7.

Le décalage flagrant entre les intentions annoncées et le contenu réel du Plan conduit à s’interroger sur les véritables fins de celui-ci. Une première indication se trouve dans le processus d’élaboration du plan. En effet, alors que celui-ci est présenté comme une réponse aux besoins de la population pauvre, aucune organisation de la société civile n’a été consultée, les discussions se limitant à la BID, aux gouvernements du Triangle nord et à certaines des entreprises privées les plus puissantes de la région. Le CACIF et la Fondation pour le développement (FUNDESA, composée des plus grands groupes industriels et financiers du pays) ont ainsi été étroitement associés à l’élaboration du Plan et lui ont exprimé leur plein soutien.
Il apparaît donc que le véritable but du Plan est de renforcer les intérêts dominants dans la région et aux États-Unis. Mais cette concordance fondamentale entre les deux régions ne doit toutefois pas masquer les divergences entre les intérêts états-uniens et certains secteurs oligarchiques centraméricains. L’un des objectifs prioritaires des États-Unis est de renforcer la sécurité de ses investisseurs, en s’attaquant prioritairement à la corruption au sein des États du Triangle nord, ce qui entre en conflit direct avec les groupes de pouvoir politique et économique issus des forces armées de ces pays, au premier rang desquels le Parti patriote du président Otto Pérez Molina et le régime hondurien issu d’un récent putsch. Concernant le Guatemala, ce bras-de-fer s’est illustré dans les pressions ouvertes de Joe Biden visant à la prolongation du mandat de la CICIG8. Concluant une visite de deux jours au Guatemala en mars dernier, le vice-président déclara ainsi que « la CICIG doit être prolongée. Bien sûr il s’agit d’une décision souveraine, mais elle doit être prolongée si quelqu’un espère que le Congrès des États-Unis se joigne à cette initiative en s’engageant sur des milliards de dollars ; vous devez vous engager à nettoyer le système ».

En dépit de certaines contradictions, le Plan reflète néanmoins une profonde convergence d’intérêts. Comme le souligne Luis Solano, la migration de Centraméricains vers les États-Unis est bénéfique tant pour les entrepreneurs du Nord, à qui elle fournit une main d’œuvre bon marché et peu revendicative, que pour les élites guatémaltèques, jouant le rôle de soupape dans une société reposant sur un modèle économique et social inégalitaire et excluant. Les remesas, l’argent envoyé au pays par les migrants, représentent également une ressource centrale pour l’économie guatémaltèque, s’élevant en 2014 à 5,5 milliards de dollars. En répétant les mêmes recettes à destination des mêmes personnes, le Plan de l’Alliance pour la prospérité est donc, plutôt qu’un plan « anti migration », un plan « pro migration »(9).

1. Adam Isacson, « Latest Border Stats Suggest Higher Family, Child Migration in 2015 than Official Projections », WOLA, 10.04.15
2. Plan for the Alliance of Prosperity in the Northern Triangle : A Road Map, 09.14,
3. « Joe Biden : A Plan for Central America » NYT, 29.01.15
4. Luis Solano, « Alianza para la Prosperidad : un proyecto de la élite empresarial », 20.03.15,
5. Ibid.
6. « PDH rechaza salarios mínimos diferenciados en 4 municipios », La Hora, 02.01.15
7. http://bit.ly/1KJGqht
8. Luis Solano, « De la continuidad de la CICIG y la Alianza para la Prosperidad : un pulso de poderes », CMI, 04.03.15
9. Luis Solano, op. cit., 20.03.15

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