Décision historique : Ríos Montt sera jugé pour crimes de génocide

Edito du bulletin Solidarité Guatemala 202 (janvier 2013)

Mince était l’espoir de rédiger un jour un éditorial saluant une décision de justice historique au royaume de l’impunité. Le 28 janvier 2013 pourtant, le juge Miguel Ángel Gálvez du tribunal d’instance de Haut risque à Ciudad de Guatemala a ordonné l’ouverture du procès d’Efraín Ríos Montt, dirigeant de facto du Guatemala de mars 1982 à août 1983, et de son directeur des services secrets de l’époque, José Francisco Rodriguez Sánchez, pour crimes de génocide, crimes contre l’humanité, tortures et disparitions forcées.
 
Le 4 février, le juge Gálvez acceptait toutes les preuves présentées par le Ministère public. Plus de 900 au total, mettant en cause la responsabilité des deux ex militaires de 86 et 69 ans, dans 15 massacres de communautés mayas ixil, ayant conduit à l’assassinat de 1 771 hommes, femmes et enfants. Trente et un ans après les faits, 13 ans après le premier dépôt de plainte, le crime est qualifié publiquement. Efraín Ríos Montt, l’incarnation des années de terreur au Guatemala devra répondre de ses crimes à partir du 14 août prochain.
 
L’espoir renaît parmi les survivant(e)s, familles et organisations qui luttent contre l’impunité et l’oubli. Mais ils ne baissent pas les armes. L’annonce du procès a été faite après pas moins de 73 recours et une demande d’amnistie. L’élite militaire, mêlée à l’oligarchie économique et politique, crie au lynchage et remet en cause l’impartialité de personnalités du système judiciaire comme l’actuelle Procureure générale Claudia Paz y Paz, le juge Gálvez, les avocats qui, par leur travail et leur persistance, ont ouvert cette voie vers la justice.
 
Cependant, si un nouveau projet de loi d’amnistie entre les mains de la Cour Constitutionnelle n’est pas encore sorti, la frayeur de ceux qui combattent l’impunité a été grande début 2013, à la publication d’un décret présidentiel retirant la compétence de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme pour juger des crimes commis au Guatemala avant 1987, soit avant la date de ratification par le pays du statut de la cour de justice américaine, excluant ainsi les pires années du conflit armé (1960-1996) et mettant fin aux enquêtes en cours sur 3 massacres.

« Suspendu » le 7 janvier par le président Otto Pérez Molina alors même qu’il l’avait fait publier, le message de ce décret était clair : toutes les failles du droit, recours et autres embûches seront utilisés pour entraver tout procès des responsables de la répression. Ex-général en poste dans la région Ixil au début des années 80, Pérez Molina donnait déjà le ton lors de sa prise de fonction en janvier 2012 : «  ici, il n’y a pas eu de génocide » (« aquí, no hubo genocidio »).
 
Pérez Molina ne s’est pas étendu sur les poursuites actuelles contre Ríos Montt. Quelques jours plus tôt, au Forum économique mondial de Davos, il défendait son thème favori de détournement de l’attention médiatique et internationale : la dépénalisation des drogues, aux côtés du philanthrope George Soros, 7ème fortune mondiale, doublant ses demandes d’aide de financement de la lutte contre le narcotrafic via la remilitarisation du pays, déjà relancée en 2012 avec l’ouverture de deux bases militaires en terre maya.
 
Parallèlement, le VRP guatémaltèque rencontrait les présidents de Nestlé, Meter Brabek Letmathe intéressé par le café, et de Monsanto, Hugh Grant, pour les semences et fertilisants. Tout laisse à penser que les droits fondamentaux notamment d’accès à la justice et à la terre des populations paysannes et mayas, majoritaires au Guatemala, n’étaient pas à l’ordre du jour des rencontres de Davos.
 
Les périodes les plus obscures du pays se basaient sur les mêmes priorités de la classe dominante de satisfaire leurs intérêts et ceux des compagnies étrangères. Le coup d’Etat appuyé par la CIA à la demande de la multinationale américaine exportatrice de bananes (United Fruit Company) en 1954, avait ainsi mis fin à la première et courte expérience démocratique, accompagnée de réforme agraire et droits salariaux, qu’ait jamais connu le pays depuis la colonisation.
 
Les intérêts défendus au mépris de la vie humaine ont conduit la dictature militaire, prise de zèle dans sa lutte anticommuniste, à planifier l’éradication, par les massacres, tortures, violations sexuelles et disparitions forcées d’une partie de la population pour soumettre totalement celle restante. Les années du gouvernement de Ríos Montt marquent l’apogée dans l’horreur de cette répression. De telles méthodes ne sont plus utilisées, mais les leaders et membres d’organisations et communautés en défense de la terre et de la justice continuent de subir des attaques, menaces, agressions et intimidations dès lors qu’ils remettent en cause l’ordre établi.

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