Projet Xalalá : des communautés exerçant leurs droits face à un État qui lui, les transgresse

Le 18ème anniversaire de la signature des Accords de paix mettant fin au conflit armé, célébré le 29 décembre dernier, ne peut être que le constat amer de la faible implication étatique dans la reconnaissance des droits des peuples autochtones. Premières victimes de l’extrême violence de ce conflit, ces populations luttent encore aujourd’hui pour le respect de leurs droits face au pouvoir économique des mégaprojets que l’État souhaite imposer sur leurs terres, comme c’est le cas du projet de construction du barrage hydroélectrique Xalalá.

La fin du contrat, relatif à la réalisation d’études géologiques destinées à permettre la construction du barrage hydroélectrique Xalalá, signé en novembre 2013 entre l’Institut d’Électrification National (INDE) et l’entreprise brésilienne Intertechne, se rapproche et, dans le même temps, la crainte de voir l’INDE arriver sur les territoires des communautés pour réaliser ces études grandit.

Jonction entre les fleuves Chixoy et Copón, où la construction du barrage est prévue : toutes les terres avoisinantes seraient inondées. Photo : Clémence Minet

Une résistance organisée

Plus de 30 ans après l’élaboration de ce projet, les communautés sont toujours en résistance et doivent faire face à des tentatives de plus en plus nombreuses et maquillées de l’INDE, cherchant par tout moyen à entrer sur leur territoire pour réaliser ces études de faisabilité1. Bien que ce risque soit de plus en plus élevé, les communautés qui seraient affectées par ce projet semblent bien organisées et surtout unies. L’Association des Communautés pour la défense de la terre et des ressources naturelles (ACODET) est principalement engagée contre la réalisation du projet Xalalá, et regroupe aujourd’hui 37 communautés. Au-delà de ces 37 membres, il a été établi que ce projet affecterait plus de 50 communautés, situées sur 3 municipalités : Cobán, Ixcán et Uspantán. Les activités principales d’ACODET sont destinées à sensibiliser les habitants de cette zone sur les impacts qu’aurait la construction de ce barrage et à organiser la résistance de manière pacifique et légale.

Une résistance légale

Les communautés ont d’ailleurs privilégié la voie légale pour faire respecter leurs droits. Avec l’appui d’ACODET, deux autorités autochtones ancestrales ont déposé le 17 juin dernier un recours devant le Tribunal de Contentieux Administratif. Cette action juridique a pour but de faire annuler le contrat d’études de faisabilité au regard des nombreuses irrégularités (notamment financières et procédurales) qu’il présente , ainsi qu’au regard de l’absence totale de consultation des communautés susceptibles d’être affectées2.

Le 22 juillet, une délégation, composée d’une dizaine d’autorités ancestrales, se présenta à la capitale pour une audience publique, représentée par des avocats de l’Association d’Avocats et Notaires Mayas. Furent également présents à l’audience le député Amílcar Pop, Président de la Commission de Probité du Congrès3, ainsi que plusieurs organisations sociales venues apporter leur soutien aux communautés. Lors de cette première audience, l’INDE ne se présenta pas et se contenta d’envoyer un rapport écrit exposant sa défense.

La résolution, rendue le 1er août, reconnaît qu’aucune consultation n’a été faite, alors que le prévoient la Constitution nationale guatémaltèque et la Convention 169 de l’OIT. Pour autant, cette sentence n’annule en rien le contrat et va même plus loin, sous un air de projet faussement « inclusif », dans le sens où elle recommande que « les communautés engagées proposent leurs propres spécialistes multidisciplinaires pour appuyer la réalisation des études ».

Les communautés restèrent clairement insatisfaites de cette décision, refusant de faire partie de tout processus d’études géologiques basées sur un contrat qu’elles considèrent illicite. Elles décidèrent donc de faire appel, réitérant leur volonté de voir le contrat d’études de faisabilité définitivement annulé, et le projet de Xalalá abandonné. De son côté, l’INDE, refusant de voir les études menées par des experts qui lui seraient extérieurs, rejeta également cette décision et de la même manière, décida de faire appel.

Audience du 8 octobre à la Cour Constitutionnelle, avec observation d’ACOGUATE : les autorités ancestrales qui ont déposé le recours répondent à la presse. Photo : Inès Chadi

Une résistance informée de ces droits face à la désinformation

La seconde audience eut lieu cette fois-ci à la Cour Constitutionnelle, le 8 octobre dernier. Les mêmes protagonistes que lors de la précédente audience furent présents. La chaise de la défense resta une nouvelle fois vide.

Les arguments avancés par l’INDE furent que les communautés ont été consultées. En effet, l’INDE déclare détenir la signature de plusieurs COCODE4 approuvant le projet. Il ne précise pas, bien sûr, que les seules fois où il s’est rendu dans les communautés, ce fut pour proposer des projets de développement (comme la construction de routes, d’écoles, ou encore l’électrification) en échange de la signature des COCODE, celle-ci étant ensuite utilisée comme un accord de la communauté à la réalisation du projet Xalalá. Les quelques COCODE ayant cédé à ce chantage sont d’ailleurs toujours dans l’attente de voir ces projets se réaliser.

Aucune réunion d’information sur les impacts potentiels de la construction de ce barrage hydroélectrique, ni aucune consultation ne furent organisées. L’avocat représentant les communautés insista d’ailleurs sur le fait que « les cadeaux qu’offre l’INDE, comme les projets, ne peuvent en aucune manière se substituer à la consultation. »

La première sentence reconnaissait qu’aucune consultation n’avait été réalisée, mais n’obligeait, en aucun cas, le gouvernement à mettre en place les mécanismes permettant de rétablir ce droit à la consultation libre, préalable, informée (et dans leur langue), qui a été violé.

Lors de cette seconde audience, l’avocat des requérants et le député ne manquèrent pas de rappeler l’absence totale de consultation, mentionnant que seules les municipalités d’Ixcán et d’Uspantán avaient organisé des consultations de bonne foi respectivement en 2007 et 2009, mais que celles-ci ne furent jamais reconnues au niveau étatique. En vertu du droit international, les consultations doivent être réalisées avant que ne débute tout projet : même s’il ne s’agit que d’un contrat d’études de faisabilité, ces activités allant être menées sur le territoire même des communautés, celles-ci ont donc légitimement le droit d’être informées et consultées, en amont.

La décision d’annuler ce contrat est désormais entre les mains des juges du plus haut tribunal guatémaltèque. Un des avocats des communautés espère que ce cas soit « l’opportunité pour la Cour Constitutionnelle de construire et renforcer un État de droit plurinational ».

En conclusion, il est important de retenir le recours à la voie légale et l’union qui soude ces communautés. En effet, celles-ci connaissent leurs droits et exigent leur respect. Les leaders communautaires viennent toujours en groupe aux audiences, malgré les coûts que représente le déplacement jusqu’à la capitale, associé à la perte de plusieurs jours de travail. Et même si seulement deux autorités ancestrales ont signé le recours, tous les autres les accompagnent et les appuient. Pour citer l’un d’entre eux, « Siempre en la lucha, estamos juntos » [Nous sommes toujours ensemble, dans la lutte]. Ils s’encouragent dans cet exercice difficile et nouveau pour eux, de prendre la parole en public, devant un tribunal, face à de nombreux journalistes, en prenant le risque d’exposer leur image et leur identité.

Aussi, malgré l’exaspération latente des populations qui n’en peuvent plus face à un État qui reste immobile à reconnaître leurs droits, voire qui est souvent lui-même transgresseur de ces droits, il importe aux communautés d’utiliser toutes les possibilités légales et pacifiques qui sont en leur pouvoir pour faire reconnaître leurs droits et empêcher la construction du barrage hydroélectrique Xalalá, qui serait à l’origine de nombreux dégâts humains et environnementaux.

1. Le contrat qu’il a passé avec l’entreprise brésilienne représente plus de 5,3 millions de dollars.
2. Tel que le prévoit la Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux de 1989, de l’Organisation Internationale du Travail, signée et ratifiée par le Guatemala en 1996.
3. La Commission de Probité est un organe technique composé de députés, chargé de soumettre à l’examen du Congrès des rapports et/ou des prises de positions dans le domaine qui est le sien (Transparence et Loyauté), pouvant aboutir à la proposition d’un décret ou d’une résolution.
4. Conseil communautaire de développement.

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