Traduction de l’article publié sur le blog d’ACOGUATE
Les terres de Tzalbal, qui appartenaient à l’ejido municipal de Nebaj jusqu’en 1984, ont été nationalisées en plein milieu du conflit armé, en l’absence de la population déplacée à cause de la répression. C’est seulement en 2011 que les communautés affectées, revenues dans sur terres d’origine, ont appris du Fonds des terres qu’elles vivaient « sur prêt », sur des terres appartenant désormais à la nation. Depuis lors, les communautés se sont organisées pour exiger la restitution immédiate et sans condition de leurs terres à l’ejido municipal. Jusqu’en novembre 2013, elles n’avaient pas reçu de réponse concrète de l’Etat.
Entre 2013 et aujourd’hui, la lutte des communautés de Tzalbal, dans la municipalité de Nebaj (Quiché), a connu des moments d’espoir, de déception et de réorientation, que nous exposons dans cet article.
Echec du dialogue avec le gouvernement d’Otto Pérez Molina
Quand elles apprirent, en mai 2011, que les terres sur lesquelles elles avaient vécu avaient été nationalisées pendant le conflit armé, les douze communautés de Tzalbal affectées (environ 15 000 personnes) ont commencé à s’organiser dans l’objectif d’exiger la restitution immédiates de leurs terres. Cette demande fut appuyée par la mairie de Nebaj (1). Les habitants des communautés ont en premier lieu cherché à vérifier la déclaration du Fonds des terres. Une étude du registre, réalisée par la Commission internationale de juristes (CIJ), confirma que l’Etat guatémaltèque s’était approprié des terres par cession à titre gratuit de la part de la municipalité de Nebaj en 1984 (2). Toutefois, le titre de cession de terres avait un défaut juridique : les terres en question appartenaient à l’ejido municipal de Nebaj, ce qui signifie qu’elles étaient au nom de la municipalité et des voisins. La cession ne bénéficiait pas de l’aval de ces derniers, en dépit du fait que ceux-ci étaient propriétaires. C’est pour cette raison que les communautés, conseillées juridiquement par la CIJ, décidèrent de déposer une plainte administrative.
Les communautés de Tzalbal débutèrent « un long chemin de dialogue avec les institutions du gouvernement d’Otto Pérez Molina » (3) durant lequel elles eurent des rencontres avec le Secrétariat aux Affaires agricoles, les Biens de la nation, le Secrétariat général de la présidence, le Bureau du Procureur général de la nation, le Greffe du gouvernement, le Registre général de la propriété, le Second registre de la propriété de Quetzaltenango et le Fonds des terres. L’objectif était d’obtenir la restitution des terres à l’ejido municipal à travers un accord gouvernemental.
Malgré l’obtention d’un accord, le jour où les représentants des communautés et les avocats se présentèrent pour recevoir celui-ci, les mêmes autorités les informèrent qu’il y « avait un problème et que le président ne pouvait signer l’accord gouvernemental ». Le Fonds des terres allégua que les communautés ne respectaient pas les procédures établies dans la Loi de transformation agraire et la Loi du Fonds des terres et qu’il n’existait pas non plus de loi permettant la restitution. Pour Ramón Cadenas, directeur de la CIJ pour l’Amérique centrale, « ils ont déshonoré un accord qu’ils avaient déjà conclu avec les communautés et c’est pourquoi la toute la négociation se termina » (4) en juillet 2014. Les communautés dénoncent jusqu’aujourd’hui le « manque de volonté politique » du gouvernement d’Otto Pérez Molina, qui « n’a pas seulement empêché la restitution de [leurs] terres usurpées par l’Etat pendant la guerre, mais qui a aussi perpétué l’injustice et l’impunité ».
Deux chemins possibles pour 2016
La voie judiciaire : Face à la fermeture de la voie administrative, les communautés furent conduites à penser à recourir à la voie judiciaire. Cette possibilité, qui consiste à déposer un recours d’amparo, avait auparavant été écartée du fait de sa longueur et car il était considéré qu’il existait assez de preuves pour obtenir la restitution des terres par la voie administrative. Néanmoins, en juillet 2015, les communautés se sont mises d’accord pour dire qu’il ne leur restait que cette solution et il a été décidé qu’avec l’appui de la CIJ, elles allaient préparer un recours d’amparo, préparation qui est toujours en cours aujourd’hui.
La voie administrative : Cependant, avec la chute du gouvernement d’Otto Pérez Molina le 3 septembre 2015 et la prise de possession du nouveau président, Jimmy Morales, en janvier 2016, une porte s’est ouverte pour les communautés de Tzalbal. Elles ont entendu la promesse du nouveau gouvernement d’être « transparent », « de lutter frontalement contre l’impunité » et d’aider les communautés. Elles utilisent aujourd’hui cet argument pour demander au gouvernement une réponse qu’elles n’ont pas obtenue avec Otto Pérez Molina.
Dans ce contexte, le 18 avril 2016, les communautés ont appelé à une manifestation à Nebaj dans le but de :
« exiger au nouveau gouvernement du président Jimmy Morales, devant la communauté nationale, internationale et les organismes de droits humains qui accompagnent le processus, la restitution immédiate et sans aucun type de condition des terres nationalisées ».
Lettre ouverte des communautés de Tzalbal, avril 2016
Les participants, venant des douze communautés concernées, ont d’abord marché jusqu’au bureau du Fonds des terres. Là, elles ont remis aux fonctionnaires une lettre ouverte qui résume l’histoire de leur lutte et leur seule et claire demande : la restitution de leurs terres.
La marche a continué jusqu’à la place centrale du chef-lieu, où les représentants des communautés ont faire connaître leur revendication aux habitants de Nebaj. Tant Pedro Raymundo Cobo, maire, que Miguel de León Ceto, maire autochtone, ont soutenu cette demande dans leurs discours lors de l’acte de fermeture de l’événement, parlant respectivement « d’abus » et de « vol ». Ils ont également rappelé que la lutte des douze communautés de Tzalbal est la lutte de tout le peuple de Nebaj, la nationalisation ayant affecté l’ensemble de l’ejido municipal. Un groupe de jeunes nebajenses est monté à la tribune pour exprimer sa préoccupation.
Du conflit armé aux mégaprojets
La situation actuelle des communautés de Tzalbal a ses racines dans le conflit armé et invite à avoir un regard plus large des causes et conséquences de celui-ci.
La manifestation organisée le 18 avril a eu lieu la veille de l’arrivée du Tribunal de haut risque B à Nebaj pour entendre les témoins du procès pour génocide contre José Efraín Ríos Montt et José Mauricio Rodríguez Sánchez.
« Les militaires ont volé les terres de Tzalbal car ils pensaient que nous allions mourir ou être leurs valets. Ils se sont trompés car les Ixils sont vivants. C’est cela le génocide. Mais nous ne sommes pas morts. Aujourd’hui ils disent qu’il n’y a pas eu de génocide, mais alors pourquoi ont-ils volé la terre ? Ils sont venus tuer, assassiner et voler nos terres. Ils ont tué nos enfants, brûlé les maisons, volé la terre. Si quelqu’un dit que ce n’est pas vrai, c’est qu’il n’était pas là. Nous qui avons vécu la guerre, nous sommes là. Nous pensons à nos enfants ».
Miguel de León Ceto, maire autochtone
La lutte de ceux qui ont manifesté le 18 avril à Nebaj se situe dans une longue histoire. Leurs grands-mères et grands-pères luttèrent contre l’enregistrement de la terre dans le Second registre de la propriété de Quetzaltenango en 1903. À l’époque du conflit armé, ils ont été dépossédés alors qu’ils fuyaient la violence. Aujourd’hui, ils affrontent le « Fonds des terres et un grand nombre d’entreprises qui sont en train de réorganiser, avec leurs mégaprojets, leurs propres terres et leurs propres territoires ». Ce qu’ils demandent est la « justice maintenant », ce qui signifie pour eux « paix, tranquillité et développement » (6) véritable des communautés.
ACOGUATE accompagne le collectif Resistencia de los Pueblos (Résistance des peuples) et a observé la manifestation de Tzalbal le 18 avril 2016.
1. Accord municipal numéro 042-2012 en date du 12 juillet 2012
2. CIJ, Informe Consultoría Estudio registral sobre ejidos municipales del Departamento de El Quiché, Comisión Internacional de Juristas, mars 2012.
3. Lettre ouverte des communautés de Tzalbal de la municipalité de Nebaj, abril 2016
4. Entretien avec Ramón Cadena
5. Discours de Miguel de León Ceto, 18 avril 2016
6. Discours d’un représentant des communautés de Tzalbal, 18 avril 2016