Dans le département du Petén, et en particulier dans la région affectée par la présence de Perenco Guatemala Limited, filiale de l’entreprise pétrolière franco-britannique Perenco, la situation continue d’alarmer les organisations de défense des droits humains. La récente mission de la Commission internationale des juristes (CIJ), menée dans le Petén, du 11 au 14 août dernier, a permis de recueillir des témoignages sur les pressions et intimidations constantes subies par les populations voisines des installations(1).
Remilitarisation, abus d’autorité et persécutions
La présence de l’armée dans la région, via son « bataillon de la jungle », et les multiples contrôles aux barrages militaires, plantent le décor dès le début de la mission, et devancent les témoignages des habitants des communautés de la Laguna del Tigre et alentours. Ce bataillon, financé en partie par Perenco et supposément installé pour lutter contre le trafic de drogue et d’animaux sauvages, est aussi posté à l’entrée de la zone protégée de la Laguna del Tigre pour contrôler les allées et venues des habitants. Alors que les camions et autres véhicules de l’entreprise pétrolière passent à loisir le barrage dénommé « El Tigrillo », les militaires arrêtent tout autre véhicule et, au bon vouloir d’un employé du Conseil national des zones protégées (CONAP), l’institution de l’Etat en charge de la gestion du Parc National, confisquent et détruisent ce qui est jugé incompatible avec le statut de réserve nationale : mobilier de subsistance (matelas, ...) mais aussi tout matériel nécessaire à la construction, réparation ou maintien de dispensaires ou écoles communautaires. Après avoir demandé un permis au CONAP pour la construction d’un puits, les habitants d’une communauté de San Andrés se sont vus notifier un refus, accompagné d’une menace d’expulsion, les accusant d’ « usurpateurs ». Les communautés menacées d’abandonner leurs terres continuent d’exiger l’arrêt de cette persécution, revendiquant leur installation préalable à la reconnaissance de la zone comme Parc National.
Exploitation pétrolière et conservation ?
Quant à la compatibilité de l’exploitation pétrolière de Perenco avec le statut de zone protégée, il faudra peut-être revenir en arrière... L’ex-secrétaire du CONAP, Sergio Véliz Rizzo a été condamné le 31 juillet dernier à 3 ans de prison pour avoir falsifié le plan de gestion 2007-2011 de la Laguna del Tigre, permettant en 2010, le renouvellement pour 15 années supplémentaires du contrat pétrolier 2-85. Dans le document administratif de gestion du Parc National, il avait éliminé les lignes présentant l’extraction pétrolière comme une menace alors même que la loi sur les zones protégées y interdit les activités extractives. Un exemple de plus de corruption et trafics d’influences entre l’entreprise française et les institutions de l’Etat guatémaltèque.
Possibilités de recours juridiques
Au vu de ce jugement, le Centre d’action légale environnementale et sociale (CALAS) a exigé du président Pérez Molina l’annulation de la reconduction du contrat pétrolier entre Perenco et l’Etat guatémaltèque(2). En réponse, le chef de l’Etat déclara que « sera réalisée une étude juridique sur l’exploitation des puits Xan par Perenco ». Des maires du Petén auraient demandé au président son « soutien afin de pouvoir continuer à percevoir les royalties venant cette entreprise »(3).
Face au déni de justice au Guatemala, la Commission internationale des juristes, qui soutient les communautés, propose de recourir au système interaméricain et a annoncé la préparation d’une plainte devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme.
Un espoir plus au Sud : une sentence historique a été dictée par la Cour interaméricaine des droits de l’homme contre l’Equateur, reconnu responsable, le 27 juin dernier, de violations aux droits de consultation, de propriété communale autochtone et d’identité culturelle, et d’avoir porté préjudice au peuple autochtone Kichwa de Sarayaku en permettant, depuis la fin des années 1990, à une entreprise pétrolière de réaliser des activités d’exploration sur son territoire, sans l’avoir consulté au préalable. L’Etat a également été jugé responsable d’avoir mis en péril les droits à la vie et à l’intégrité personnelle(4).
Le Guatemala vendu
Loin d’être consultées sur la question, les populations du Petén souffrent toujours plus de la pression territoriale engendrée par le développement de mégaprojets soutenus par les gouvernements successifs. Barrages hydroélectriques, mégaprojet touristique « IV Balam », expansion de l’exploitation pétrolière, monocultures de palmier à huile et jatropha accaparent leur territoire et viennent s’ajouter aux contraintes qu’elles subissent de la part du CONAP et de l’armée. Dernier exemple en date de cette différence de traitement entre population locale et multinationale : l’appel d’offres pour l’exploration de sept zones du territoire national, représentant un total de 795 858,8 hectares, lancé par le Ministère de l´énergie et des mines au mois d’août « dans le cadre du plan gouvernemental d’augmenter la production de pétrole à 51 000 barils jour »(5).
La direction des hydrocarbures de ce même ministère est d’ailleurs actuellement en tournée mondiale pour la promotion de ces réserves pétrolières. Le 21 août, Perenco Guatemala a eu l’occasion de rencontrer à Bogotá ses collègues de Perenco Colombia, participant aux côtés d’autres entreprises à ce road show destiné à attirer de nouveaux investisseurs étrangers au Guatemala. Les inquiétudes principales de ces derniers seraient, entre autres, « la sécurité citoyenne, les communautés autochtones et les possibles conflits sociaux »(6). Car oui, la population, menacée, s’est organisée. Or, un peuple en lutte est un « problème » pour l’industrie extractive en particulier et la poursuite et mise en place de politiques néolibérales en général, prédateurs qui ne cessent d’étendre leurs tentacules dans les pays où l’état de droit est inexistant, dans les régions abandonnées par les Etats, accaparant les territoires des populations rurales paysannes et autochtones, violant leurs droits fondamentaux, comme le droit à la vie, au logement, à l’éducation, à la santé et à leur libre détermination.
1. Remilitarisation de la zone, trafics d’influences, menaces constantes et assassinats de dirigeants qui se poursuivent dans une totale impunité
2. « Ils exigent l’annulation des opérations de l’entreprise Perenco ». Prensa Libre. 3 août 2012.
3. « Le gouvernement procédera à une révision légale du contrat avec Perenco ». Prensa Libre. 6 août 2012.
4. Corte IDH. Caso Pueblo Indígena Kichwa de Sarayaku Vs. Ecuador. Fondo y reparaciones. Sentencia de 27 de junio de 2012. Serie C No. 245.
5. « Pétrole : lancement d’un appel d’offres ». Prensa Libre. 14 août 2012.
6. « Intérêt pour les zones pétrolières du pays ». Prensa Libre. 22 août 2012.