En février dernier, Kim Aumonier, accompagnatrice du Collectif Guatemala au sein du projet ACOGUATE, a pu rencontrer Andrea Ixchíu, membre du collectif Réalisateurs Tz’ikin. Andrea est une femme maya quiché de 27 ans, originaire de Totonicapán, communicatrice communautaire et activiste des droits humains et de la défense de la vie et du territoire. Nous vous invitons à découvrir avec elle le collectif Réalisateurs Tz’ikin et le projet Tz’ikin TeVé (1).
Pour commencer, peux-tu nous en dire plus sur le Collectif réalisateurs Tz’ikin ?
Le Réseau de réalisateurs Tz’ikin est un groupe de jeunes, en majorité autochtones [mayas], originaires de diverses régions du pays. Nous sommes environ trente jeunes à faire de la documentation audiovisuelle, dans la logique et avec le mandat de faire des vidéos pour la défense de la vie et du territoire.
Ce réseau apparaît entre 2011 et 2012 comme résultat du modèle d’implantation extractiviste, qui a commencé à être beaucoup plus agressif et présents dans plusieurs territoire, et du besoin qui existait de construire nos propres récits à partir du cinéma et de la vidéo. En effet, beaucoup d’entre nous avons perçu la façon dont nous étions criminalisés depuis la télévision traditionnelle et les médias corporatistes et comment les leaders communautaires qui s’opposaient à la spoliation étaient traités comme des terroristes et des opposants au développement. Ils ignoraient toute l’histoire de comment les entreprises arrivent dans les communautés, mentent, trompent, agressent, ainsi que la conduite des propriétaires terriens.
Le Réseau Tz’ikin a commencé comme une initiative de formation en vidéo et cinéma. Notre première activité est la réalisation d’ateliers de cinéma et de vidéo dans les communautés, plus spécifiquement dans les communautés en résistance. La deuxième activité est la réalisation d’un festival itinérant annuel de cinéma et de vidéo « Vie et territoire » (Muestra Vida y Territorio), qui voyage de communauté en communauté pour projeter et présenter tant les documentaires que nous réalisons lors des ateliers, que les films et documentaires d’autres parties du monde qui racontent les mêmes luttes et résistances des peuples dans leurs territoires.
L’initiative la plus récente, qui a débuté mi-2015, est notre projet Tz’ikin TeVé, un projet de télévision communautaire. Nous avons commencé à fonctionner en août et aujourd’hui nous produisons deux émissions mensuelles et d’autres contenus.
Comment se construit une émission de Tz’ikin TeVé ?
L’émission de Tz’ikin TeVé a plusieurs segments, qui varient en fonction de la disponibilité du contenu et de la pertinence du sujet au moment de la diffusion.
Nous avons commencé à un moment où le Guatemala était plongé dans une crise politique liée à la corruption et à l’écocide du fleuve La Pasión (2). Nous avons donc vu le besoin de traiter la lutte qui se déroulait à Ciudad de Guatemala en défense de l’argent public, mais aussi d’avoir une vision assez critique de la position de la population, qui était très en colère contre le vol de l’argent public, mais pas contre la spoliation du territoire, la pollution des cours d’eau, contre le fait que l’État vende notre territoire aux transnationales et ne nous laisse rien.
Le premier segment, que je présente, s’appelle Claro y pelado [« Clair et pelé » soit, en guatémaltèque, « clair et sincère », sans détours]. C’est un éditorial qui présente ce que nous pensons en tant que Réseau Tz’ikin sur l’actualité, et qui précède un autre segment intitulé Micrófono Abierto [Micro ouvert], dans lequel les femmes et les hommes du Réseau vont dans leur communauté, quartier, rue, village, pour demander aux personnes ce qu’elles pensent d’un sujet en particulier. Vient ensuite Noticia de Actualidad, où nous abordons une nouvelle sans commentaire éditorial, que ce soit la présentation d’un petit documentaire sur une lutte spécifique, une action, etc. Nous donnons la priorité aux luttes liées à la défense du territoire et à l’incarcération politique comme conséquence directe de cette défense. Nous avons ainsi parlé de la conjoncture électorale, des licences minières, de certains procès à l’encontre des prisonniers politiques, de la signature des Accords de paix etc.
Nous passons ensuite à la partie Nuestras Historias [Nos histoires], où nous partageons davantage le matériel produit par les jeunes du Réseau, qui est surtout le produit des ateliers de formation annuels.
Le segment suivant, En Comunidad [En communauté], est une note communautaire sur quelque chose qui se passe dans une communauté et que les jeunes ont suivi, qui a retenu leur attention et qu’il leur semble important de partager avec le public.
Enfin, vient le segment le plus alternatif, Chilearte, où nous parlons d’art et de culture, tant d’expressions urbaines que communautaires. Il y a également Semana Anawaka, qui traite d’informations internationales, en essayant de privilégier les luttes des peuples en défense de leur territoire.
C’est un programme qui dure entre 30 et 40 minutes et est disponible sur notre site internet (3) et sur YouTube. Bien sûr nous restons ouverts, nous ne présentons pas que des réalisations de jeunes du Réseau, il y a aussi d’autres jeunes qui nous envoient du matériel.
Comment faites-vous pour diffuser l’émission dans les endroits où il n’y a pas Internet ?
Quelque chose de très intéressant est arrivé : le contenu a beaucoup plu à des petites chaînes locales. Il y a donc des chaînes câblées qui diffusent Tz’ikin TeVé à Totonicapán, San Lucas Tolimán, Huehuetenango, San Marcos et Antigua Guatemala. C’est très intéressant car ça a été un saut d’Internet à la télévision. Il y a donc la possibilité d’arriver à d’autres endroits. Par exemple, dans la communauté La Primavera, en Ixcán, où il y a une chaîne de télévision communautaire, nous sommes diffusés. A Chisec, la radio communautaire transforme le contenu de l’émission en audio pour pouvoir le diffuser. C’est ainsi que fonctionnent les réseaux de solidarité de l’information.
Quelles ont été les réactions au lancement de l’émission ?
Certains journalistes culturels comprennent la construction de notre espace et en ont parlé. Le journal La Hora a publié une note positive, ce qui est une véritable surprise pour nous. Nous avons reçu des critiques constructives, de bons retours. Il y a aussi de la censure et de la criminalisation mais c’est ce à quoi nous faisons le moins attention. Nous nous focalisons sur la création de contenus et essayons de concentrer notre énergie sur les bonnes critiques qui nous servent à améliorer la qualité et la forme sous laquelle nous racontons les histoires, et non sur celles venant de ceux qui veulent nous démobiliser et nous censurer.
En 2015, il y a eu beaucoup de répression, et même des assassinats, contre les journalistes au Guatemala. Avez-vous des craintes avec le nouveau gouvernement ?
Avec ce gouvernement, nous n’avons d’attentes d’aucune sorte. Peur, non. Je crois que la peur est quelque chose qui nous empêche de nous mobiliser.
Nous faisons notre travail en toute honnêteté. Nous sommes des jeunes de communautés, de villages, qui allons à un endroit, nous installons et documentons ce qui se passe et c’est ce que nous présentons. Celui qui a peur de ce parti-pris est le pouvoir traditionnel car il est habitué à implanter ses récits dans d’autres médias, mais pas nous.
Ce qui existe, c’est un peu de vulnérabilité des jeunes à certains moments de risque, de forte criminalisation. Il y a eu des moments tendus où on a cassé l’équipement des jeunes du Réseau, où on a essayé de les intimider, surtout près de Xalalá où plusieurs d’entre eux ont été retenus, menacés, frappés et où leur équipement a été détruit.
Quelles sont les attentes du Réseau pour l’avenir ?
Nous avons de grands et intéressants défis pour 2016 et 2017. Le premier est de nous renforcer à travers nos formations car nous fonctionnons de façon autogérée, nous n’avons pas de revenus en tant que Réseau. La gestion des ressources pour pouvoir offrir des ateliers de formation et fournir de l’équipement est un défi, c’est une de nos limitations. Nous recherchons des soutiens solidaires, surtout auprès d’organisations internationales, car nous savons qu’au niveau local il n’y a pas de ressources et que d’autres sujets sont prioritaires.
En 2017, le Guatemala va accueillir le sixième Festival international de cinéma et de vidéo autochtone, une rencontre internationale de cinéastes autochtones de diverses parties du monde, qui propose des ateliers et des projections. La décision a été prise de le réaliser en 2017 en Amérique centrale à cause des conditions actuelles de criminalisation, avec ce qui est arrivé à Ayotzinapa, au Guatemala, ce qui continue à se produire à Oaxaca, dans les communautés du Salvador, du Honduras et du Guatemala.
Nous sommes donc très contents. Le Réseau Tz’ikin va avoir beaucoup de travail mais c’est aussi l’opportunité de nous améliorer et de nous lier avec les luttes du reste de l’Amérique centrale.
Vous parler de « souveraineté audiovisuelle », pouvez-vous expliquer ce concept ?
C’est une construction constante et permanente qui a à voir avec l’utilisation des technologies de logiciels libres. Nous essayons de construire des plateformes liées aux logiciels libres, d’utiliser des réseaux libres et de renforcer tout ce qui touche à la construction de la technologie anticapitaliste, qui est elle aussi possible !
Souhaites-tu ajouter quelque chose ?
Oui, que la communication est un moyen par lequel nous pouvons transmettre notre voix, nos messages, nos luttes, et les partager. C’est un moyen d’émancipation, totalement, et dans cette lutte il est important de nous lier et de construire collectivement.
Notes :
1. « Le nahual Tz’ikin est l’oiseau. Il est le gardien des villageois. Les oiseaux chantent, les oiseaux conseillent, les oiseaux transportent les graines. Les oiseaux créent toute une communication avec la nature » (Andrea Ixchíu).
2. Voir « Sayaxché : écocide et homicides, les vrais fruits de la palme africaine », Solidarité Guatemala n°214, juin 2015
3. http://realizadorestzikin.org/ et https://www.youtube.com/user/realizadorestzikin