Oxlajuj B’ak’tun : changement de cycle dans le calendrier maya et perspectives des luttes du Guatemala

Les guides spirituels mayas considèrent la fin de ce cycle comme le commencement d’une nouvelle ère spirituelle, politique et sociale, à travers le réveil et le soulèvement du peuple. Retours sur la signification et les activités du Oxlajuj B’ak’tun d’après nos rencontres au Guatemala.

Le 13 B’ak’tun dans le calendrier maya

Le calendrier maya repose sur les cycles astronomiques, et plus particulièrement sur celui du Soleil et de Venus, grâce un incroyable travail d’observation et de modélisation réalisé par les scientifiques mayas ; soit quelques 3 000 ans avant que les communautés scientifiques et religieuses européennes ne reconnaissent l’héliocentrisme comme valide ! A l’inverse du calendrier Grégorien, le calendrier Hab’Solar maya ne suit pas une logique linéaire, mais cyclique. Ainsi, 13 jours consécutifs présenteront 13 nahuals différents (au jour 1 Tz’inkin, succédera le jour 2 I’x), comme le montre l’illustration ci-dessous(1).

Ce cycle initial se répète jusqu’à créer des comptes longs :

  • Un Winak : vingt jours.
  • Un Tun : 18 Winaks, soit un an.
  • Un K’atun : 20 Tun ou 20 ans.
  • Un B’ak’tun : 20 K’atun soit 400 ans.
  • Un Oxlajuj B’ak’tun : 13 cycles B’ak’tun soit 5 200 ans.
  • Le compte le plus long étant le Alawtun, soit 160 000 B’ak’tun, soit 1 152 millions d’années.

Le 20 décembre 2012 est le dernier jour de l’actuel Oxlaju j (13) Ba’k’tun, la fin du treizième B’ak’tun, et au 21 décembre a débuté un nouveau cycle du calendrier ; le 1er janvier de l’an 1 si l’on se réfère à la logique grégorienne. Ce calendrier demeure valide pour des millions de Mayas vivant actuellement au Guatemala, Honduras, El Salvador, Belize et au Chiapas (sud du Mexique).

La mesure cyclique du temps en comptes longs permet d’attribuer un caractère quasi unique et une interprétation à chaque jour. Pour cela il est aussi correct de parler de calendrier astronomique que de calendrier astrologique. A travers les textes sacrés du Popol Wuj, du Chilam Balam ou du Codex dit « de Madrid », les guides spirituels mayas interprètent le temps passé, présent et futur ; les trois niveaux étant indissociables. Avant la colonisation espagnole, les Mayas disposaient de milliers de textes sacrés comme ces derniers, utilisés ou rédigés pour ou par la pratique de la divination astrologique. Toutefois, l’Eglise catholique ayant souhaité la disparition totale des croyances mayas pour imposer « sa vérité », toutes traces de ces écrits ont été effacées dans de grands autodafés. Les trois uniques textes originaux restant sont la propriété de musées européens (Berlin, Madrid et Paris, Madrid).

La fin du monde, injustement « prophétisée » par les Occidentaux comme événement cosmique, est perçue par les Mayas, avant tout, comme une conséquence évidente des torts de l’humain, de son irresponsabilité face à la nature et aux autres peuples. L’espoir réside dans la croyance au succès de la lutte pour le changement. Le destin de l’humanité n’est pas écrit, seul le défi qui s’impose à elle est explicite.

« Oui, la fin du monde est tout à fait possible, mais seulement si nous ne changeons pas le système qui le détruit (…) » nous explique Nicolás Lucás, guide spirituel de l’association Oxlajuj Ajpop.

Luttes et résistances. Zaculeu, Huehuetenango

A Zaculeu, site archéologique d’une ancienne cité maya et lieu sacré, se sont réunies des centaines de personnes des différents peuples mayas du département de Huehuetenango, sur invitation du Conseil des Peuples autochtones d’Occident (CPO). Oxlajuj Ajpop y célébrait une cérémonie dans la nuit du 20 décembre. Le 21 décembre le CPO organisait une matinée de réflexion sur les luttes et résistances des peuples de Huehuetenango et du Guatemala animant à continuer et à renforcer l’organisation et l’union des peuples contre le système d’oppression existant et à défendre le droit à l’autodétermination pour un buen vivir(2). Extraits choisis des discours de l’activité :

Francisco Rocael de l’Assemblée départementale en défense du territoire de Huehuetenango : « Toutes et tous, nous avons entendu que le nouveau B’ak’tun serait l’espoir, le temps de la solidarité, de la lutte et de la dignité que nos peuples méritent. Mais cette possibilité dépend de nous, de chacun, de la construction d’un nouveau système politique, économique, culturel et social. ».

« La réforme présidentielle de la Constitution politique de la République, les réformes de la Loi sur l’exploitation minière et sur la carrière d’instituteur, sont des initiatives du gouvernement qui ne sont pas en faveur de nos peuples, au contraire, elles constituent des retours en arrière sur les conquêtes des luttes sociales puisqu’elles sont destinées à consolider le modèle économique d’accumulation basé sur l’agrobusiness, les mines, le pétrole, les barrages hydroélectriques, la privatisation des services publics, qui bénéficient uniquement à un nombre réduit de familles qui ont historiquement exploité et réprimé nos peuples(3). »

María Guadalupe Hernández, Zaculeu. Photo de Vanessa Gongora
Vanessa Gongora

Pour María Guadalupe Hernández, de l’organisation de femmes Mamá Maquín : « Nous ne sommes pas ici seulement pour commémorer, mais aussi pour dénoncer tout ce que le système et l’oppresseur nous ont imposé. La pression, la menace, la répression qui pèsent sur nous depuis 500 ans, depuis l’invasion espagnole. Nous sommes ici aussi pour dire que nous allons continuer à lutter pour nous, peuples, pour dire à nos ancêtres que nous allons défendre leurs valeurs, leurs souvenirs, leurs sentiments et leur savoir. Nous leur disons que nous ne verrons jamais la Terre Mère comme un commerce, que nous continuerons à la voir comme la mère qui donne la vie. Nous sommes ici pour prendre un engagement, pour prendre cet engagement : nous dirons non aux entreprises, nous dirons non aux mégaprojets ! Et nous continuerons à lutter pour le bonheur, nous défendrons le territoire, nous lutterons pour que le corps des femmes ne soient plus un objet sexuel, nous lutterons pour nos droits, nous vivrons comme le voulaient nos ancêtres, heureux sur nos territoires, unis, libres ! »

Une dirigeante communautaire ajouta : « Nous représentons la voix des femmes ! Pourquoi ? Car nous sommes discriminées de trois façons : naître pour être femmes, pour rester analphabètes, pour rester soumises. Ici nous renaissons, nous allons renaître, ils se sont trompés sur notre compte. Nous donnons la naissance comme la Terre mère, et nous partageons les souffrances de notre mère. Nous sommes mères et aussi nous souffrons s’ils nous enlèvent nos terres, car nous ne pouvons plus nourrir nos enfants, nous ne savons pas où aller. Ce système nous opprime ! Ce système ne nous dira pas comment nous allons vivre, nous allons lui dire comment nous voulons vivre ! »

Alvaro Ramazzini, évêque de Huehuetenango : « L’expérience ici m’a profondément marqué et je me sens l’un de vous. Je pensais connaître mon pays. Il a fallu que je vive à San Marcos pour comprendre que je m’étais trompé, pour apprendre la force de la résistance des peuples autochtones. (…) Quand nous dénonçons les injustices, on ne nous entend pas. Je voudrais parler de la lettre que nous avons écrite avant les Accords de paix. Nous disions que deux parties du peuple ont toujours été discriminées : le peuple autochtone et nos frères et sœurs paysans. Et encore une fois, je regrette car aujourd’hui même il y a là-bas des cérémonies gouvernementales, et ici le peuple4. Cela me rend triste, car le gouvernement n’a jamais rendu réels les désirs des Accords de paix. Nous sommes un peuple pluriculturel et pluriethnique, nous devrions tous être unis ici. […] Ce pays a besoin d’une démocratie non seulement réelle mais aussi radicale, où le peuple décide de son avenir et prenne les décisions qui lui apportent le bonheur. Nous avons besoin aussi d’une économie radicalement différente, qui réponde à nos besoins et préserve nos richesses naturelles. […] Nous sommes les 99%, eux sont le reste, n’ayons pas peur de parler des différences de classes ! […] Acceptons l’indignation, et exigeons la réforme agraire intégrale dont nous avons besoin pour vivre sans faim ! […] Qu’ils ne viennent pas nous dire qu’ils défendent les droits, car défendre les droits, ce n’est pas défendre les intérêts de quelques uns contre le peuple.  »

1. Propos et analyse recueillis à travers une entrevue avec Félipe Gomez, membre de l’association guatémaltèque de guides spirituels mayas Oxlajuj Ajpop.
2. La vision du buen vivir (bien-être) est revendiquée par les peuples autochtones à travers tout le continent américain. La vidéo de l’activité est disponible en ligne.
3. Communiqué du CPO « Posicionamiento Político en el Marco del Oxlajuj B’ak’tun », 30 novembre 2012.
4. A quelques mètres de la tribune du CPO avait lieu une activité promue par le gouvernement, lequel n’a pas manqué de faire du zèle sur le déploiement de l’armée, de policiers et même des « forces spéciales de police ». Voir aussi le photo-reportage de James Rodríguez.

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