Les terres de l’Oriente

Traduction de l’article publié sur le blog d’ACOGUATE

L’Est du Guatemala (Oriente) est l’une des régions du pays qui ont été systématiquement laissées de côté par le système politique et économique de l’Etat. La population souffre de l’un des indices de dénutrition les plus élevés. On pourrait dire que cette situation est due en partie au climat qui, en l’absence de pluies, provoque une très forte sécheresse qui affecte très fortement les cultures. Une autre problématique, très actuelle, est celle de la rouille, l’une des maladies les plus catastrophiques pour les plants de café, principale activité de la région. Toutefois, pour les communautés, le plus grand problème est l’absence de droits de la population paysanne et autochtone a sur ces terres. Parmi celles-ci se trouve les communautés ch’orti’s qui résident en majorité dans les départements de Chiquimula et Zacapa et, dans une moindre mesure, des deux côtés de la frontière entre le Guatemala et le Honduras.

(photo : ACOGUATE)

Avant la conquête espagnole, nous savons que le concept de propriété privée des terres n’existait pas chez les peuples originaires. Avec l’arrivée de la puissance coloniale, les droits sur les terres sont passés par différents systèmes agraires, tous fondés sur le concept « qu’il n’y a pas de terres sans maître ». Les biens naturels sont passés aux mains de la Couronne espagnole, de puissants encomenderos et de l’Eglise catholique. La population locale commença à être utilisée comme main d’œuvre.

Cependant, le modèle colonial, qui inspirait la résistance des peuples, provoquait également des tensions entre la Couronne et les encomenderos (1). Ceci a conduit à ce que soient promulguées des lois qui octroyaient des terres aux communautés autochtones. C’est pourquoi nous pouvons voir que depuis la Colonie ont existé des registres de la propriété collective des terres en faveur des communautés autochtones. Mais nous ne pouvons ignorer que ceci servait à garantir le paiement de tributs à la Couronne et que les peuples devaient fournir des journées de travail aux propriétaires terriens. Les dynamiques de ces nouveaux systèmes, ainsi que l’endoctrinement catholique, entre autres, ont mené à la perte de nombreux traits de la culture originaire.

Le processus indépendantiste, de caractère libéral-bourgeois, provoqua une nouvelle répartition des terres. Ceci fut en partie dû au développement de la production cafetière dans la région. Avec celle-ci, la population autochtone fut intégrée au travail dans les plantations. C’est ainsi que s’est consolidée la perte de l’identité ch’orti’, principalement à travers l’oubli de sa langue. Le peuple s’est de plus en plus éloigné du sentiment d’appartenance à son groupe originaire.

Le cours de l’Histoire guatémaltèque, déterminé par des tendances latifundistes, a connu une période d’assouplissement grâce aux politiques révolutionnaires de 1944. Plus tard, en 1996, grâce aux Accords de paix, fut mis un terme à 36 ans de conflit armé interne, lequel avait en grande partie ses racines dans les conflits agraires. Dans cette perspective fut affirmée l’intention de redéfinir la politique agraire, incluant l’identité et les droits des peuples autochtones. Mais les Accords restèrent sur le papier et, dans la réalité, peu a été accompli.

(photo : ACOGUATE)

Actuellement, la région de l’Oriente se consacre majoritairement aux activités rurales. Cependant, il faut savoir que les relations qu’un paysan et un autochtone entretiennent avec la terre conservent certaines différences. Le premier travaille la terre sur laquelle il vit, tandis que pour le second le lien va bien au-delà : l’autochtone a une relation plus profonde, une connexion spirituelle qui inclut le cycle de la vie, prenant en compte les générations passées et futures. Ainsi, la récolte n’est pas seulement le fruit de son travail, elle est au contraire une faveur que lui accorde la Terre mère, en échange de laquelle celle-ci doit être remerciée, alimentée et soignée par les êtres humains.

Beaucoup de ces valeurs ont été perdues et de nombreux paysans ne s’identifient plus comme faisant partie d’un groupe autochtone. Néanmoins, le fait que les gens soient restés sur ces terres malgré la quantité de problèmes qu’implique la vie dans cette région est un point de départ pour pouvoir se rappeler et commencer à reconstruire une identité commune. Souvenons-nous que cette tendance à l’oubli est aussi le fruit d’une forte discrimination. Les luttes entre ladinos et autochtones sont le résultat du processus historique qui s’est développé après l’indépendance et, dans cette région en particulier, sur la base de l’expansion des exploitations de café.

En réaction aux dynamiques historiques qui leur ont été imposées, se sont organisés il y a quelques années plusieurs groupes de personnes et des communautés dans le but de récupérer les droits sur les terres. En 2004 s’est constituée la Coordination d’associations et de communautés pour le développement intégral de la région ch’orti’ (COMUNDICH). Cette initiative coordonne 84 organisations qui représentent et accompagnent les intérêts des communautés autochtones-paysannes du peuple maya ch’orti’. À la base de ses objectifs est de pouvoir garantir la sécurité alimentaire, c’est-à-dire « assurer à chaque personne ou famille l’opportunité d’obtenir les aliments nécessaires à la satisfaction des nécessités essentielles de survie ». Le pas suivant dans la revendication collective des peuples consiste à obtenir la souveraineté alimentaire, laquelle implique arriver à une autonomie qui permette « définir par soi-même ses politiques agraires et alimentaires, en défendant le marché local face aux produits de provenance lointaine et de moindre prix » (2). En d’autres mots, leur propre modèle de développement.

Comme cause et conséquence de leurs revendications se trouve l’intention de reconstruire et fortifier une mémoire historique propre, comme peuple maya ch’orti’. De cette façon se développe une conscience des droits propres pour garantir que ceux-ci soient respectés et pratiqués par les habitants. Dans ce sens, au cours des dernières années, les communautés mettent en avant que dans certaines municipalités des départements de Chiquimula et Zacapa ont été nommés neuf mairies autochtones ch’orti’s, avec leurs maires respectifs. Celles-ci ont même réussi à être reconnues par le gouvernement guatémaltèque.

En effet, l’Etat s’est vu obligé à reconnaître les peuples comme sujets de droit, admettant leur légitimité, fondée sur les traités internationaux. Toutefois, jusqu’à aujourd’hui, le résultat est très arbitraire car c’est le maire « officiel » qui doit reconnaître les droits d’une communauté autochtone sur un territoire. De cette façon, la garantie des droits dépend en réalité de la bonne volonté politique de l’autorité municipale.

De fait, ce mode de fonctionnement a montré ses limites quand, en mai dernier, les maires autochtones des communautés de Tachoche et Tizamarté, dans la municipalité de Camotán, se sont rendus compte que leur inscription comme communauté autochtone, obtenue en 2011, avait été révoquée par les autorités municipales depuis mai 2013, sans même qu’ils n’en aient été formellement informés. Cette « omission » a servi de justification à ce qu’un tribunal de Chiquimula, prétendant que les délais légaux étaient expirés, rejette le recours déposé par les maires autochtones. L’affaire est actuellement devant la Cour de constitutionnalité (3).

Cependant, en regardant en arrière dans le temps, les Ch’orti’s ont la légitimité suffisante pour pouvoir exiger et défendre ce qui leur appartient. Avec ces arguments, la révision historique agraire devient une « légitimité légale ». De cette façon doit être reconnue l’existence de figures juridiques communautaires qui impliquent, par exemple, que les terres sont inaliénables. C’est-à-dire qu’elles échappent aux effets pervers de la commercialisation des terres et que, de ce fait, elles constituent la base du droit à l’alimentation.

Contrairement aux droits ancestraux-communautaires, les lois au niveau étatique gèrent l’administration du territoire d’après le cadastre, ce qui permet un système d’achat et de vente de terres, ce qui peut être néfaste pour le renforcement des peuples. Pour COMUNDICH, il est également important de pouvoir faire appel à la Convention 169 de l’OIT et aux mécanismes spécifiques aux niveaux national et international, qui aident à réclamer ces droits.

Par exemple, la reconnaissance des mairies autochtones a permis de présenter les écritures correspondantes aux registres officiels de l’Etat et de rectifier ainsi les lignes tracées par les acheteurs qui ont profité des pratiques du passé.

Des maires autochtones reçoivent la carte de leur communauté
(photo : ACOGUATE)

Pendant longtemps, le gouvernement national a vu les peuples originaires comme une minorité faible et passive. Il leur reste donc à se renforcer au plan politique car, une fois acquis les droits, le défi consiste à défendre les avancées obtenues et consolider la souveraineté. Il est toutefois fréquent au Guatemala de s’occuper moins de ce qui est légitime qu’à ce que le gouvernement considère comme « atteignable et réaliste ». Si les propositions ne sont pas vues comme rentables économiquement, elles n’ont donc pas grand avenir. Pour le peuple ch’orti’, le « jeu » qui se joue consiste donc à toujours maintenir une harmonie qui soit bonne pour les parties concernées. Malgré ces alternatives, beaucoup continuent à faire davantage confiance aux structures étatiques. Entre voisins d’une même communauté, il est facile qu’apparaissent des conflits dus à différents points de vue.

Pour des dirigeants de COMUNDICH, « il n’existe pas un seul chemin prédéfini que l’on puisse suivre pour revendiquer les droits comme peuples autochtones. Il s’agit d’agir, en profitant de quelques recours légaux existants, mais aussi de savoir trouver des sorties dans des situations nouvelles, par des voies par lesquelles personne n’est encore passé. A chaque pas nous apprenons de nouvelles stratégies pour les futures étapes ».

En faisant le bilan du chemin parcouru, on peut identifier certains résultats très importants. Néanmoins, le chemin n’est pas uniquement fait de réussites. Les conflits engendrés par les disputes autour des terres génèrent chaque année de hauts indices de violence ainsi que d’autres types de problèmes. Dans certains cas extrêmes, on est arrivé à des effusions de sang et à des pertes de vies. Un autre phénomène à prendre en compte en Amérique centrale est le trafic de drogue, a fortiori dans cette région frontalière par où passent chaque année des tonnes de cocaïne à destination des Etats-Unis.

Le fait que les peuples originaires revendiquent le droit sur les terres est un sujet très complexe et de haut risque. Les acteurs qui ont des intérêts en jeu sont nombreux et il n’y aura pas toujours de solution qui convienne à tous. Ceci veut dire beaucoup de difficultés et de défis pour les peuples, pour la façon même dont pense le fonctionnement de l’Etat . De ce fait, la nécessité de se transformer depuis la société dans son ensemble est et continuera à être de première importance.

1. Système d’explotation de la terre et des populations mis en place dans les colonies espagnoles d’Amérique : https://fr.wikipedia.org/wiki/Encomienda
2. Adaptation de la définition de la Via Campesina
3. Voir "Autoridades indígenas ch’orti’ defienden sus derechos en la Corte de Constitucionalidad"

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