Les habits neufs de la vieille politique

L’élection triomphale de Jimmy Morales en octobre dernier a montré la volonté d’une part importante de la société guatémaltèque d’en finir avec un système corrompu et inefficace, qualifié de « vieille politique ». Mais, comme le signalaient de nombreux observateurs et défenseurs des droits humains, l’outsider Jimmy n’en était pas vraiment un, étant porté par certains des secteurs les plus sombres du pays. Quelques mois après sa prise de fonctions, les doutes ne sont plus permis quant à l’orientation du nouveau gouvernement.

Se présentant comme un outsider bien déterminé à en finir avec les vieilles pratiques honnies, Morales n’aura pas tardé à se conformer aux recettes de la cuisine politicienne. Du fait de son ascension aussi rapide qu’inattendue, le FCN (1), inexistant il y a peu encore dans la majeure partie du pays, a obtenu des scores plus que médiocres aux élections législatives. Au soir du scrutin, il ne disposait ainsi que de onze députés sur 158, loin derrière l’UNE et ses 36 élus. Une situation minoritaire qui s’est payée cher lors de l’attribution des postes au Congrès, dont la présidence est revenue à Mario Taracena, du principal parti d’opposition, l’UNE.

D’autant que Taracena, vieux routier de la politique nationale, a profité du contexte et de sa nouvelle position pour prendre une série de mesures visant à la moralisation de la vie politique. Exigée par la loi et demandée depuis des années, la publication de la liste des employés du Congrès et de leur salaire a mis en évidence rémunérations anormalement élevées et postes fantômes. Le 4 février était adoptée la « Loi organique du Législatif », qui réduit le nombre de collaborateurs et de commissions, limite le népotisme et encadre le transfuguismo (changement d’affiliation partisane en cours de mandature) (2).

Symbole de la décadence du système politique aux yeux de la population, le transfuguismo a connu une nouvelle jeunesse le jour même de l’installation du nouveau Congrès, le 4 janvier. Ce jour-là, 43 députés du PP et de LIDER ont quitté ces partis sans avenir pour fonder trois nouveaux groupes parlementaires, dans l’objectif de négocier au mieux leur passage ou leur alliance avec le FCN ou l’UNE. Afin de limiter cette pratique, la réforme prévoit que les députés renonçant à leur affiliation pourront être inscrits comme indépendants mais ni rejoindre un autre parti, ni former un nouveau groupe. Elle établit néanmoins un délai de trente jours avant l’entrée en vigueur de la nouvelle règle, délai utilisé avec une efficacité peu habituelle dans l’institution, onze députés démissionnant de leur groupe dans les heures suivant l’approbation de la mesure.

Bien que condamné par le candidat Jimmy durant la campagne électorale et dans son discours d’investiture, le transfuguismo a d’abord et avant tout bénéficié au FCN. Javier Hernández, chef du groupe, a présenté cette pratique comme une nécessité pour pouvoir peser dans le jeu législatif, allant jusqu’à affirmer qu’il ne recherchait aucun profil chez les députés transfuges, ne voulant « que des chiffres » (3). Pari réussi, le parti gouvernemental étant devenu la première force au Congrès avec 31 sièges (4).

Députés du groupe FCN
©Wilder López/Soy502

Au vu de ces déclarations et de la provenance des nouveaux venus, pour la plupart issus de LIDER, grande est la préoccupation de savoir quel sera le prix de leur retournement d’allégeance. Pour le journaliste Juan Luis Font, « le plus probable est que [les leaders du FCN] offrent de l’argent public, à travers l’attribution de travaux dans le budget national (la pratique la plus courante dans chaque législature). Ou bien qu’ils recourent à la répartition du butin électoral, qui se traduit dans le contrôle de postes dans chaque district. Ou qu’ils offrent une participation dans des affaires telles que la vente de la bande AWS pour transmettre en 4G » (5).

Malgré certaines avancées, l’un des piliers du système de corruption est donc en train de se reconstituer selon les modalités de toujours : l’organisation du pillage de l’État.

Tenir la Cour de constitutionnalité, verrou de l’ordre social

Autre enjeu majeur, le pouvoir judiciaire. Loin d’être homogène, le système judiciaire guatémaltèque est l’un des principaux champs de bataille entre impunité et justice, perpétuation des intérêts mafieux et oligarchiques ou démocratisation de la société. Pièce essentielle du système de corruption d’Otto Pérez, il a également été l’un des principaux acteurs de sa chute. C’est dire l’importance du renouvellement des juges de la Cour de constitutionnalité (CC) qui s’est achevé début mars. La CC est en effet la plus haute juridiction du pays et ses décisions peuvent avoir de grands impacts économiques, politiques et judiciaires (6).

Défini dans la constitution à la fin du conflit armé, le processus de désignation des juges (pour un mandat de cinq ans) vise à assurer une répartition équilibrée des sièges entre les différentes branches de l’État et des institutions de la société civile. Ainsi, cinq organismes désignent chacun un juge : la Cour suprême de justice (CSJ), le Congrès, le président de la République, le Collège des avocats et notaires (CANG) et le Conseil supérieur de l’université publique San Carlos (USAC). Dans les faits cependant, cette procédure encourage le clientélisme et la corruption, les candidats étant soutenus par différents groupes d’intérêt (partis politiques, organisations patronales, corporations juridiques) et se livrant parfois à de véritables campagnes électorales. L’élection des juges de la CSJ l’année dernière avait pour cette raison été fortement critiquée par de nombreux observateurs (7).

Mais, là aussi, les événements de 2015 ont laissé des traces : « Il y a plus de pression publique, plus de poursuites ; la situation actuelle ne permet pas d’acheter ouvertement les votes » selon un candidat, s’exprimant peu avant son audition par la CSJ (8). Dans ce contexte, quelques progrès ont été obtenus vers plus de transparence comme la publication des informations sur les différentes candidatures devant la CSJ. Insuffisants cependant pour empêcher la « recomposition de l’ordre ancien » (9) : des cinq juges élus, quatre ont un historique préoccupant en matière de lutte contre l’impunité et pour la justice. Une situation qui a amené Mónica Pinto, Rapporteuse des Nations unies sur l’indépendance des juges et des avocats, à exprimer sa grave préoccupation « devant le risque de politisation et d’interférence indue » de la Cour : « Je suis particulièrement préoccupée par la désignation de la juge et du suppléant correspondant au président de la République, pour laquelle il n’y a pas eu de partage d’information sur les procédures de sélection ou les critères utilisés durant le processus » (10).

Défendre l’oligarchie

Le contrôle de la CC revêt une importance particulière dans la période actuelle, qui a vu se multiplier les mobilisations et les affaires judiciaires mettant en cause l’oligarchie traditionnelle et les militaires reconvertis dans les affaires. Le procès de La Línea, dans lequel sont accusés Otto Pérez et Roxana Baldetti, a en effet connu des développements récents avec la déclaration d’Estuardo González, alias Eco. Entendu comme « collaborateur efficace », l’homme d’affaire a détaillé la structure du plan de pillage de l’administration des douanes et le rôle central des anciens dirigeants du pays (11).

En attendant les révélations de l’autre pièce maîtresse de La Línea, l’ex-secrétaire de la vice-présidente, Juan Carlos Monzón, la CICIG et le Ministère public (MP) ont annoncé le 12 février l’arrestation de fonctionnaires de l’administration des douanes et de représentants de l’entreprise Aceros de Guatemala (Aciers du Guatemala), accusés de faire partie d’un réseau de corruption et de trafic d’influences. L’affaire, dénommée « Fraude et impunité », met en cause l’une des plus grandes entreprises du pays, propriété de la famille Gabriel Abularach, intimement liée à l’élite traditionnelle. Bien que les dirigeants de l’entreprise ne soient pas (pour l’instant) visés par l’enquête, « les ramifications de cette affaire ouvrent la porte pour que celle-ci devienne une affaire paradigmatique, qui explique les formes d’agir des grands entrepreneurs dans la fraude fiscale » (12). De quoi inquiéter sérieusement ces derniers, d’autant que se propage l’information d’un prochain « tsunami » judiciaire les visant directement.

© Carlos Sebastián/Nómada

Une inquiétude qu’ils n’ont cependant pas à avoir au niveau de la politique mise en œuvre par les partis majoritaires. Le 26 février a ainsi été approuvée en procédure d’urgence nationale la « Loi urgente pour la conservation de l’emploi », qui prolonge les exonérations fiscales dont bénéficient les maquilas (usines d’assemblage) et centres d’appel, dans une belle unanimité des partis du gouvernement et de l’opposition, à l’exception des partis de gauche et de quelques indépendants (13).

Les craintes des défenseurs des droits humains et des secteurs populaires semblent se réaliser. Mais si les mobilisations de 2015 n’ont pas fait du passé table rase, elles ont ouvert une brèche. Les tentatives actuelles de recomposition du système sont tout autant le signe de sa résilience que celui de sa fébrilité face à une remise en cause rarement égalée dans l’histoire récente. Une chose est sûre néanmoins. Pour Jimmy, il n’y aura pas eu d’état de grâce.

Article publié dans Solidarité Guatemala 217

1. FCN : Front de convergence nationale ; UNE : Unité nationale de l’espérance ; PP : Parti patriote ; LIDER : Liberté démocratique rénovée
2. Gladys Olmstead, « Los 10 goles (y problemas) de la reforma al Congreso », Nómada, 08.02.16
3. Jessica Gramajo, “Hernández : "La promesa no la hice yo"”, Prensa Libre, 08.02.16
4. Du fait de défections, l’UNE compte désormais 30 députés, suivie par le Mouvement réformateur (ex-PP, 19 sièges), Todos (17) et Alliance citoyenne (ex-LIDER, 15)
5. Juan Luis Font, « Morales, más de lo mismo », ContraPoder, 11.02.16
6. Bill Barreto, « La Corte de los Milagros », Plaza Pública, 04.03.16
7. Amandine Grandjean, « Triste nouvelle pour la justice au Guatemala : la Cour constitutionnelle (CC) a confirmé les élections des hauts fonctionnaires de justice », SG 212
8. Elsa Cabria, « Por qué es menos descarada la compra de voluntades en la Corte Suprema (y los 5 candidatos para la CC) », Nómada, 02.03.16
9. Gustavo Berganza, « Oportunidades perdidas », ContraPoder, 07.03.16
10. ONU Derechos Humanos, « Guatemala : “Me preocupa el proceso de elección de magistrados”, advierte experta de la ONU », 14.03.16
11. Bill Barreto, « “Eco”, el narrador de La Línea », Plaza Pública, 14.03.16
12. Luis Solano, « ¿La “Línea 2” al destape ? CICIG y MP asestan golpe a grandes empresarios », CMI, 12.02.16
13. Bill Barreto, « De cómo los diputados favorecieron de nuevo a las maquilas y a los call centers », Plaza Pública, 09.03.16

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