« Le moment le plus sombre de la nuit est celui qui précède l’aube », entretien avec Leiria Vay

Collectif Guatemala : Pourriez-vous vous présenter, Leira Teresa Vay García, ainsi que CODECA, l’organisation donc vous faites partie ?

Je suis une femme autochtone Maya K´iché, ayant eu différentes responsabilités au sein de CODECA (Comité de Desarrollo Campesino (Comité du développement paysan)) mais aujourd’hui, je fais partie de l’équipe de direction de la politique nationale de l’organisation.
CODECA est un mouvement autochone et paysan, des communautés et individus qui luttent en faveur de changements structurels au Guatemala. Sa lutte principale est le “Buen vivir” [le bien-vivre] des peuples vivant en harmonie avec la Terre Mère. Depuis 2012, les communautés impulsent une proposition de mise en place d’une Assemblée Constitutive Populaire et Plurinationale pour construire, ensemble, un Etat plurinational.
CODECA s’est créé et consolidé comme mouvement social du milieu rural. Aujourd’hui, avec la proposition de changements structurels cristallisée dans le processus de mise en place d’une Assemblée Constitutive, CODECA investit également le milieu urbain. Il a fini par devenir un élément organisationnel moteur pour les communautés, organisations et peuples de tout le pays.
Ce mouvement réunit en assemblée 18 microrégions organisationnelles, un Conseil d’administration national, un Conseil politique et une équipe de coordinatrices et coordinateurs organisationnels. Nous avons établi des réseaux nationaux avec la jeunesse, les femmes et les porte-parole communautaires. Au niveau local, CODECA est présent dans plus de 2000 communautés et plus de 100 000 familles sont membres de l’organisation. Depuis novembre 2018, CODECA s’est doté d’un instrument politique, le Mouvement pour la Libération des Peuples (MLP) ; un outil pour construire le pouvoir populaire qui mènerait au processus de mise en place d’une Assemblée Constitutive Populaire et Plurationale en faveur de l’émergence d’un Etat plurinational et du Buen vivir des communautés.

En novembre 2018, dans le cadre d’une tournée européenne, vous êtes venue à Paris afin de dénoncer la criminalisation et la répression dont les membres de CODECA sont victimes. Ces attaques ont-elles perduré en 2019 ?

Effectivement, 6 défenseur.e.s du droit à la terre, au territoire, à l’environnement, au travail et à la nationalisation des services de base, et membres de CODECA, ont été assassiné.e.s en 2018. Ces personnes luttaient et travaillaient à la mise en place d’un processus d’Assemblée Constitutive Populaire et Plurationale.
Pour l’heure en 2019, 3 leaders et défenseurs de CODECA ont été assassinés et une collègue a été enlevée le 19 mars ; et nous ne savons toujours pas où elle se trouve.
La campagne médiatique de diffamation et stigmatisation menée contre les défenseur.e.s est encore très puissante. Un parquet spécifique - contre le Vol de Fluides Electriques - a été créé et 100% des cas traités sont dirigés contre des leaders de notre organisation. Opérationnel depuis mars 2014, il a lancé des procès pénaux contre plus de 2700 leaders communautaires dont 284 qui ont été emprisonné.e.s. Deux cas seulement ont été intégrés au débat oral et public ; la responsabilité de nos collègues ne pouvant être prouvée, ils ont été acquittés. Le travail du Parquet ne consiste donc qu’à criminaliser les défenseur.e.s et dirigeant.e.s de CODECA.

Est-ce que la création du MLP et du projet d’Assemblée Constitutive peuvent avoir un lien avec ces attaques ?

En partie, oui. CODECA dérange le système économique guatémaltèque. Lorsque nous sommes descendu.e.s dans la rue pour que les populations autochtones et paysannes soient entendues, l’Etat a répondu par la répression ; lorsque nous avons incité le Congrès à approuver des lois en faveur des communautés (Loi sur le Développement Rural Intégral), les hautes sphères du pouvoir ont bloqué toutes les propositions d’amélioration des conditions de vie des communautés. C’est pour cela que CODECA lutte pour que tous les peuples et les secteurs qui ont été historiquement exclus soient des sujets de droits ; pour ce faire, des changements structurels doivent avoir lieu dans le pays. CODECA propose ainsi l’élaboration collective d’un Etat plurinational à travers la mise en place d’une Assemblée Constitutive Populaire et Plurinationale. D’ailleurs, en 2018, bien que le Tribunal Suprême Electoral ait été un obstacle, nous avons réussi à faire reconnaître le MLP. Bien que la manipulation des hautes sphères corrompues du pouvoir pour conserver leur place au sein de l’Etat soit évidente, le MLP participera pour la première fois aux élections présidentielles de juin 2019 et proposera des candidatures à plusieurs niveaux étatiques.

Quelles sont les stratégies de CODECA pour faire face à la répression constante de ses membres ?

Consolider l’articulation des luttes communautaires dans les territoires permet de s’appuyer mutuellement dans des situations d’urgence et d’avoir plus de poids dans l’exigence du respect des droits dans les communautés.
Aussi, nous aidons les habitants des communautés à devenir de véritabes communicants. Ils travaillent sur les réseaux sociaux afin de dénoncer les violations des droits humains. Par exemple, lors des audiences des membres de CODECA qui sont criminalisé.e.s, plus la situation est connue et le déroulement couvert, plus nous exerçons une pression sur les décideurs, ce qui les empêche de rendre des jugements totalement arbitraires.

Au cours des dernières années, nous avons observé des retours en arrière importants : les attaques menées à l’encontre de la CICIG, la proposition de réforme de la Loi de Réconciliation Nationale, la Loi de Protection de la Vie et de la Famille et les menaces constantes que subissent les défenseur.e.s des droits humains. Ce sont tous des exemples d’attaques de la démocratie, des droits humains et de l’Etat de droit au Guatemala.
Comment analysez-vous cette crise politique ? Quel lien peut-on établir entre cette crise et l’augmentation systématique de la criminalisation de membres de CODECA ou d’autres défenseur.e.s du territoire et des droits humains au Guatemala ? Comment le mouvement social guatémaltèque fait-il face à la situation ?

En 1996, avec la signature des Accords de Paix, l’espoir des communautés était de vivre en paix. Cependant, le gouvernement signataire a renforcé le système néolibéral et favorisé l’implantation massive de projets extractivistes et la privatisation des ressources naturelles et des services de base. Presque 18 ans plus tard, les communautés luttent toujours pour survivre à la pauvreté, la marginalisation et au pillage des ressources naturelles présentes sur leurs territoires. Avec l’implantation de mégaprojets extractivistes qui utilisent les eaux des fleuves, les communautés sont expulsées de leurs terres ou privées d’eau. Les projets hydroélectriques en territoire autochtone ne bénéficient pas aux communautés et ils causent de nombreux dégâts dans les territoires. Les communautés qui s’y opposent sont systématiquement victimes de répression allant de la diffamation à l’assassinat des leaders.
Le Guatemala a ratifié la Convention 169 de l’OIT ; pourtant, dans la pratique, les droits individuels et collectifs et le droit à la consultation des peuples autochtones lors de l’implantation de mégaprojets ne sont pas respectés. En 2017 et 2018, le Gouvernement a malicieusement voulu faire approuver une « Réglementation de la consultation des peuples autochtones » qui s’est avérée être un moyen de détourner la Convention 169 et les droits à la consultation libre, informée et préalable. Lorsque les communautés organisées se sont opposées à cette initiative criminelle, l’Etat les a réprimées.
Bien que la Constitution reconnaisse la résistance comme un droit face à la violation des droits du peuple, elle a toujours été associée à des actes délinquants et terroristes par les hautes sphères du pouvoir. Aujourd’hui, face aux actions de résistance et d’exigence du respect des droits des populations autochtones menées dans les communautés organisées au sein de CODECA, celles-ci ont développé un plan de répression contre CODECA qui est allé jusqu’à l’assassinat massif de leaders nationaux.

Quels sont vos espoirs pour l’avenir du Guatemala, particulièrement dans ce contexte électoral ?

L’année 2018 a été marquée par plusieurs cas de corruption mis en lumière par la CICIG impliquant le gouvernement, l’exécutif, le législatif et le judiciaire. CODECA a ainsi publiquement exigé la démission de membres du gouvernement et des députés corrompus. La CICIG, son Commissaire M. Ivan Velasquez et le Procureur des droits humains ont été victimes d’attaques directes par le gouvernement qui, grâce au pacto de corruptos (groupe de personnes membres du gouvernement, corrompues, et reliées aux structures criminelles, ndlr), fera tout pour rester au pouvoir.
Dans un tel contexte et avec l’approche des élections, notre espoir est de continuer à nous organiser et à articuler notre travail dans les communautés.

Entretien : Collectif Guatemala
Traduction : Béatrice Consentino

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