La mine Marlin : une violation continue des droits humains

« Si l’on touche à ma terre, on touche à mon sang. »
 Dicton populaire de l’altiplano du Guatemala

C’est là-bas, en altitude, dans un bois enveloppé par des couches de nuages, entre brouillard et ciel, à 300 kilomètres et 9 heures de bus au nord-ouest de Ciudad de Guatemala, que sont situées les 63 communautés mayas Mam formant la municipalité de San Miguel Ixtahuacán.

Ce sont des territoires où, de façon ancestrale la cosmovision maya régit les règles de vie (la cohabitation pacifique), et où selon un habitant “l’eau était aussi bleue que le ciel cristallin et cela faisait 30 ans qu’elle arrivait jusqu’aux maisons” grâce aux projets communautaires. La violence et les cantinas, installées petit à petit au cours des dix dernières années, se sont imposées quotidiennement, et cette eau, autrefois source de vie, est aujourd’hui rare et source de maladies et de mort, cette fois-ci par la faute des mégaprojets miniers. A cette pollution locale s’est ajoutée le réchauffement climatique au niveau global, qui a substitué une sécheresse de plus en plus pérenne aux traditionnels sept mois de précipitations annuelles.

« En regardant la mine Marlin » (photo : Frauke Decoodt)

Une histoire en spirale : chronologie et situation de la mine Marlin

En 2003, l’entreprise Glamis Gold obtient la licence d’exploitation et commence la construction de la mine Marlin avec l’aide d’un prêt de la Banque Mondiale. En 2006, elle fusionne avec Goldcorp, devenant ainsi une des entreprises minière la plus importante au monde. Les fonds de pension suédois ne s’y sont pas trompés et n’ont pas hésité à investir dans le capital de la compagnie.

Au niveau national, l’entreprise opère via sa filiale Montana Exploradora de Guatemala, S.A. Fin 2005, le Projet Marlin I est lancé avec la mise en place d’une mine à ciel ouvert pour l’exploitation d’or et d’argent – creusant également une fosse ainsi que 60 tunnels (1)– grâce à la lixiviation, méthode d’extraction utilisant du cyanure. L’exploitation de la mine était prévue pour 10 ans, jusqu’en 2015, mais avec des droits d’usufruit de 25 ans sur les terrains acquis.

L’entreprise a même commencé à diffuser des informations annonçant la fermeture prochaine des activités du Projet Marlin I. Cependant, une nouvelle étape de construction de tunnels a commencé, étendant la zone d’exploitation souterraine vers d’autres communautés avoisinantes. D’après les habitants de ces communautés “les explosions ont augmenté depuis janvier (2015), les maisons tremblent, tous les jours, dès l’aube et jusqu’à 4 ou 5 fois par jour, de 5 heures du matin à 5 heures de l’après midi”, augmentant ainsi le nombre de maisons dont les murs et les fondations sont fissurés.

Un mécanisme à contrastes, avec plus d’obscurs que de clairs : les mesures provisoires de la CIDH

Le 20 mai 2010, la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme -CIDH-, accorde des mesures provisoires en faveur des communautés du peuple maya Mam et Sipakapense, des municipalités de San Miguel Ixtahuacán y Sipakapa, concernant de possibles violations aux droits fondamentaux des populations provoquées par les activités de la mine. La CIDH a donné 20 jours à l’Etat pour ordonner la suspension des activités. Toutefois, la mine a continué ses opérations sans interruption jusqu’à ce jour.

Néanmoins, le 19 décembre 2011, la CIDH modifia les mesures provisoires et – au lieu de réitérer la demande de suspension des activités de la mine Marlin – demanda à l’Etat de s’assurer que les 18 communautés les plus proches de la mine aient accès à une eau propice à la consommation humaine.

La CIDH conclut actuellement un rapport de fond sur le cas, et les communautés espèrent que “dans deux ans l’affaire puisse se présenter à la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme”.

On observe néanmoins que les mesures provisoires de la CIDH se sont révélées insuffisantes. L’eau est toujours polluée, et le processus de décision de l’institution est particulièrement long. De surcroît, le gouvernement a entravé le suivi des mesures, faisant du service de distribution d’eau aux populations le prétexte à un chantage politique. Tout ceci a fortement usé les communautés et organisations de défense des droits humains et du respect de la Madre Tierra ; sans oublier les cas de criminalisation et les agressions physiques subies par les défenseur(e)s de San Miguel et Sipakapa.

Rapports gênants : des études démontrent la pollution des affluents approvisionnant en eau les communautés affectées.

La mine pollue l’eau des rivières et des affluents autour des communautés, provoquant ainsi une augmentation des maladies de peau, gastro-intestinales, mais aussi des atteintes au système neurologique, qui affectent principalement les enfants et les personnes âgées. On soupçonne qu’elle soit aussi la cause de la mort soudaine du bétail ainsi que de la pollution des terres cultivables, uniques moyens de subsistance de la majorité d’une population comptant 6000 habitants.

Une équipe technique de la Faculté d’Ingénierie de l’Université San Carlos du Guatemala (USAC) a réalisé, entre septembre 2013 et février 2014, trois prélèvements des eaux de surface et des eaux souterraines à proximité des lieux où opère la mine Marlin. Ces prélèvements ont été envoyés au laboratoire ALS à Vancouver, au Canada. Simultanément, entre septembre et novembre 2013, le Ministère de l’Énergie et des Mines a réalisé deux prélèvements et les a envoyés au laboratoire canadien Maxxam.

Selon un communiqué de plusieurs organisations de la société civile (2), les analyses du laboratoire ALS ont révélé que la teneur d’arsenic contenue dans les prélèvements dépassait de 584% les limites de potabilité de l’eau fixées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Les analyses du laboratoire Maxxam, elles, font état d’une teneur d’arsenic dépassant les limites de 555%.

Ces mêmes organisations avaient également déclaré dans un communiqué en date du 20 février 2014, qu’un rapport de l’Institut de sciences médico-légale du Guatemala -INACIF- faisait état d’un dépassement de 910% des limites légales, dictées par l’OMS, concernant la présence de plomb, de nitrogène, d’arsenic et de manganèse.

Les organisations expliquent que de nombreuses pathologies, symptômes d’une intoxication chronique par arsenic (arsenicisme) (3), peuvent être causées par une consommation d’eau polluée pendant près de dix ans. Les médecins consultés confirment que les lésions peuvent être irréversibles après 6 mois de consommation. Aujourd’hui, 110 cas présumés ont été déclarés auprès des Ministères de la Santé et de l’Energie et des Mines.

Concrètement, les organisations de la société civile dénoncent une publicité mensongère et la complicité entre le gouvernement et l’entreprise minière. De surcroît, le Ministère de la Santé, dans un rapport daté du 30 mai 2014, s’efforce de démontrer que les pathologies précitées ainsi que la pollution de l’eau des affluents avoisinant la mine sont imputables à des “questions culturelles et de mode de vie, à l’entassement dans les foyers et à la pauvreté dans laquelle vit la population” (6), et non à l’activité minière. Pour les communautés, cet argument reflète une “ position gouvernementale dérivée de la discrimination et du racisme qui existe au Guatemala”.

De manière plus abstraite, il semble que l’approche très occidentaliste du Droit International des Droits Humains a méprisé pendant des années les voix des centaines de personnes ayant dénoncé ce genre d’agissements. Alors que la sagesse et les témoignages des peuples autochtones ne semblent pas suffire, seuls les résultats d’un groupe de scientifiques permettent de se rendre compte de l’évidence.

« Non à l’exploitation minière, Oui à la vie ! », commémoration des huit ans de la consultation populaire de Sipakapa, le 18 juin 2013 (photo : Prensa Comunitaria)

Autres effets transversaux : conflictivité sociale et rupture du tissu social

Depuis 10 ans, la socialisation de la violence a évolué. Au cours des premières années de résistance contre l’exploitation minière, agents de l’État et compagnies de sécurité privée ont exercé une répression verticale au nom de “la protection des investissements”. Actuellement, la répression est devenue de nature horizontale, plus silencieuse, voire socialement normalisée, où la population elle-même, polarisée en divers groupe d’intérêts, s’attaque, s’agresse et se menace.

Les défenseur(e)s de droits humains de la région signalent que la “démocratie recule dès lors que le pouvoir de l’argent de ’entreprise entre en jeu”, et tout particulièrement lorsque les autorités n’inspirent aucune confiance : “L’entreprise minière a créé divisions, discriminations, dominations, manipulations, mais le plus criminel reste l’élimination de la Madre Tierra”. “Aujourd’hui, nous vivons constamment avec la terreur et la peur dans nos esprits car nous ne pouvons pas marcher tranquillement”. “Nous défendons l’héritage de nos enfants, c’est pourquoi la lutte ne doit pas cesser. Le futur finit toujours par arriver”. “Au tout début ils voulaient nous faire tuer, maintenant si l’on continue de parler ils nous envoient en prison. Et moi c’est ce que je dis à mes enfants quand ils me disent qu’ils veulent bloquer des routes et participer aux manifestations : vous allez finir en prison”.

Pour finir, il convient de se pencher sur la dernière Extension de la Convention-Cadre de Coopération Interinstitutionnelle et d’Alliance Stratégique, en date du 11 avril 2014, signée par l’entreprise Montana Exploradora, l’Institut d’Equipement Municipal et les mairies de San Miguel Ixtahuacán et Sipakapa. Cette convention se base sur un prêt de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) d’un montant de trois millions et demi de quetzales (environ 350 000 euros). Ce prêt est administré par la fondation Sierra Madre, instance représentant la politique sociale de l’entreprise Montana Exploradora. L’entreprise s’y dissocie de toute obligation contractuelle concernant des travaux d’approvisionnement d’eau et d’assainissement, qui constituent pour elle “un appui additionnel à la communauté”.

Les exigences de la population et des organisations dénonçant les violations continues des droits humains dans les communautés de San Miguel Ixtahuacán du fait des activités de la mine sont les suivantes :

Réparer l’ensemble des dommages causés à la santé de la population, à l’environnement, et de façon générale aux communautés autochtones et paysannes affectées.
Indemniser les personnes et les communautés pour les dommages passés, présents et futurs, en tenant compte que la pollution peut persister pendant 100 ans.
Suspendre toute activité minière sur les territoires des communautés, du fait de la violation du droit à la consultation préalable, libre et informée des peuples autochtones affectés.
Garantir la non-répétition des faits énoncés.

1. Selon des documents de Goldcorp, la mine Marlin se compose de six entités souterraines, cinq d’entre elles ayant été autorisées en 2003 (Marlin, Delmy, Coral, Virginia, West Vero) et une sixième en 2006 (La Hamaca). En 2014 et 2015, un nouveau cycle d’exploration a été lancé dans la communauté de Los Chocoyos, faisant partie du municipio de Sipakapa.
2. Communiqué de presse de FREDEMI, Conseil Maya Sikapense, Plurijur et Calas, 17.02.15
3. Entre autres maladies reliées à l’arsenicisme figurent le cancer hépatique, divers pathologies neurologiques comme la paralysie, ou encore les leucémies.
4. Ministère de la Santé, Situación de salud en comunidades dentro del radio de 5 kilómetros alrededor de operación de Mina Marlin, Guatemala , 30.05.14, pp.16-18

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