La libération des prisonniers politiques de San Pablo donne un nouvel élan à la résistance contre une centrale hydroélectrique

« Le pire commence le 10 décembre 2014. Ils ont forcé ma porte et j’ai été capturé, mais sans avoir été informé auparavant ou convoqué au tribunal. Deux jours après, on m’a notifié être accusé d’enlèvement. Sept jours après, on m’accuse d’un autre enlèvement. Le complot organisé contre moi est tout à fait clair. Mon seul crime a été d’être une autorité dans ma communauté ». Ces mots sont tirés d’une lettre écrite par Fausto Sánchez, autorité autochtone, rédigée le matin même de notre rencontre en février 2017 à la prison de Quetzaltenango, la deuxième plus grande ville du pays. Nous avons passé cinq heures avec dix personnes emprisonnées suite à des procès liés à la lutte contre l’installation d’une centrale hydroélectrique. Six des dix prisonniers politiques ont été libérés en février et mars 2017. Ceci est le récit de leur criminalisation.

HidroSalá : une entreprise qui pensait pouvoir s’installer sans obtenir l’accord de la population

Le projet de centrale hydroélectrique sur la rivière Salá est situé dans la municipalité de San Pablo, une vallée montagneuse et luxuriante à 20 kilomètres de la frontière mexicaine, au sud-ouest du pays. Créée en 2008, HidroSalá appartient au groupe Fabrigas, fondé par Manuel Ayau, membre de l’ancien parti Mouvement de libération nationale - responsable des escadrons de la mort durant le conflit armé - et promoteur de la privatisation de l’État (1). Le projet se trouve sur la Finca Argentina, une propriété agricole qui appartient à un autre membre de la famille, Raúl Minondo Ayau, l’un des fondateurs de la Liga Pro-Patria, un groupe d’influence qui a accusé les opposants au projet. En 2011, un contrat signé avec le Ministère de l’Energie et des Mines approuve la construction de la centrale, d’une capacité de 15 mégawatts, pendant 50 ans.

Fausto Sánchez et deux acompagnateurs devant le Río Camarón qui débouche sur le Río Sala

Pour s’implanter, au lieu de consulter la population, la stratégie de l’entreprise a été de monter les habitants les uns contre les autres. Elle a promis des améliorations des conditions de vie, à travers des services de transport, d’éducation et de santé. Les vidéos du site internet d’HidroSalá montrent des habitants heureux de pouvoir bénéficier de nouvelles infrastructures, mais c’est aussi un moyen de décrédibiliser les opposants au projet, qui seront vus comme des opposants au développement de leur communauté. Il y a aussi eu un voyage organisé pour aller visiter une autre centrale dans la région d’Izabal, à une journée de route, tous frais inclus. Il y a bien eu un semblant de consultation pour lequel 300 personnes ont été interrogées, ce qui correspond à 10% des personnes touchées (635 familles, soit 2857 habitants). Mais cela n’est entériné par aucun document communautaire.

Un jour de mars 2014, un camion est arrivé dans la communauté, transportant un engin de construction. Les habitants demandent à connaître l’usage qui va être fait de cet engin. Les deux jeunes conducteurs indiquent qu’ils doivent travailler aux dernières mises au point d’un pont sur la rivière Salá, mais on apprend que le pont a déjà été inauguré. La nuit tombée, quelqu’un brûle l’engin et le camion. À ce jour, on ne sait pas s’il s’agit d’un habitant ou d’un agent provocateur de l’entreprise. Le fait est que, par la suite, HidroSalá a accusé les communautaires ayant mis le feu d’être des narcotrafiquants et des terroristes. C’est à partir de ce moment que le climat de tension et la criminalisation se sont envenimés.

Fausto Sánchez, Alfonso Chilel, Maribel Díaz et Simeón Guzmán lors de la célébration de leur libération à San Pablo

L’objectif : envoyer des opposants et des personnes au hasard en prison pour intimider la communauté

Onze personnes ont été mises en examen et incarcérées, dans trois affaires différentes. Fausto Sánchez, autorité autochtone de San Pablo, qui s’est exprimé publiquement contre le projet hydroélectrique, est le principal accusé dans les deux premiers cas. Dans le cas « La carceleta de los Andes » (la cellule de rétention de la communauté Los Andes), il est accusé avec Alfonso Chilel d’avoir détenu en 2013 un travailleur d’HidroSalá pendant quelques heures, puis de l’avoir forcé à signer un document dans lequel il renonçait à travailler pour l’entreprise. Dans le deuxième cas « La asamblea con los ingenieros de HidroSalá » (La réunion avec les ingénieurs d’HidroSalá), il était accusé avec Plutarco Pérez et Lorenzo Ramírez d’avoir retenu deux ingénieurs d’HidroSalá pendant plusieurs heures. Les plaignants sont Casimiro Pérez, qui a reçu le soutien financier de l’entreprise, et la Liga Pro-Patria. Suite à de nombreuses incohérences dans leurs récits, Fausto Sánchez a été acquitté dans les deux cas, après deux ans et trois mois de prison préventive, et tous ont été libérés.

Le cas « Las Brisas  » est le plus étrange des trois. Le 10 décembre 2014, en marge d’un rassemblement pour la libération de Fausto Sánchez, six personnes sont arrêtées : Marco Tulio Pérez, Simeón Guzmán, Bruno Solís, Maribel Díaz, Nery Santos et Heriberto Santos. Ils s’accordent à dire qu’ils ont été arrêtés de façon aléatoire alors qu’ils faisaient leurs courses dans la ville de San Pablo. En prison, ils commentent : « Le délit, c’est d’habiter dans la municipalité de San Pablo ? Nous n’étions pas ensemble, nous nous sommes connus en prison. Il n’y a aucune preuve concordante. » Accusés eux aussi par la Liga Pro-Patria, les six ont été condamnés à deux, trois ou quatre ans de prison, selon qu’ils aient accepté de plaider coupable ou non. Marco Tulio, Siméon et Maribel ont déjà purgé leur peine et sont sortis en mars 2017, alors que Nery, Heriberto et Bruno sont toujours en prison.

Deux ans de prison : une vie meurtrie pour dix innocents

Lors de notre visite, les prisonniers politiques ont partagé avec nous leurs conditions de détention très dures : « Lorsque nous sommes arrivés, les policiers nous ont traîné au sol dans toute la cour. Durant huit jours, nous n’avons pas eu le droit d’aller aux toilettes et n’avons pas reçu de nourriture. Les autres prisonniers passaient en nous touchant le visage, la poitrine, les fesses pour nous provoquer, mais nous restions sans bouger. » « Parfois, c’est très dur ici. Une fois j’ai pris une poêle, mais il n’y avait pas d’huile, j’en ai cherché mais il n’y avait rien à faire frire. Des camarades m’ont offert deux oeufs, mais il n’y avait pas de sel. La situation était si absurde que je n’avais plus faim. Dans mon garde-manger, chez moi, il y a de tout ».

Dans ces conditions et avec le climat froid de Quetzaltenango, à 2300 m d’altitude, il est difficile de rester en bonne santé. Lorenzo a eu des problèmes aux yeux mais n’a pas pu sortir pour se faire opérer. Maribel est tombée malade et a eu besoin de médicaments, fruits et légumes amenés de l’extérieur. Ce sont aussi des moments difficiles économiquement. Sans pouvoir subvenir à leurs familles, plusieurs de leurs enfants ne pouvaient pas étudier ou acheter des vêtements. L’un d’eux commente : « Mon petit-fils n’a pas pu aller fêter ses quinze ans parce qu’il n’avait pas d’argent pour acheter des chaussures. Il s’est mis alors à pleurer. »

Un rituel avec les représentants du peuple maya Mam lors de la célébration à San Pablo

Les autres stratégies pour briser le mouvement : assignations à résidence, menaces et diffamations

Oscar Sánchez est un représentant autochtone et une autorité ancestrale du Conseil maya mam, organisation qui regroupe les représentants du peuple maya mam. En août 2016, il a été arrêté alors qu’il allait dénoncer les violations des droits humains commises par les entreprises hydroélectriques et exiger la libération des dix prisonniers politiques. Il a été détenu pendant deux mois et demi puis libéré sous condition d’assignation à résidence. Il ne peut pas quitter le département ni participer à des événements en lien avec son rôle d’autorité. Un autre cas est celui de Duarly Licardie, qui est accusé dans l’affaire « Las Brisas » sans avoir été encore jugé, mais subit les mêmes restrictions en raison d’une autre affaire.

Les personnes impliquées ont souffert d’autres types d’intimidation et de menaces, telles que des extorsions d’argent sous menace de mort. Elles se sentent aussi surveillées dans leurs communautés et les événements publics qu’elles organisent. Pendant ce temps, une partie de la presse jette son discrédit sur ces mouvements de lutte. En avril 2017, trois articles publiés dans Republica.gt, un journal de droite qui n’en est à pas à sa première diffamation des luttes des peuples autochtones, avec des titres tels que « San Pablo, peuple sans loi ou peuple du crime ? », accusent des personnes de terrorisme et de liens avec la guérilla du conflit armé et le trafic de drogue.

San Pablo célèbre la libération de six prisonniers politiques : la lutte continue

Le 21 avril 2017, la place centrale de San Pablo s’est remplie dès le matin avec plus de 600 personnes . La libération de six des dix prisonniers politiques a été célébrée avec des discours, un rituel maya et une pièce de théâtre de la compagnie de jeunes Las lágrimas que hablan (Les larmes qui parlent). Les acteurs ont remporté un franc succès en caricaturant des situations réelles vécues entre les communautaires, l’entreprise et les autorités. Fausto Sánchez, dans un discours animé, a dit qu’à travers lui, le gouvernement avait réprimé les habitants de San Pablo et le peuple maya mam. Il a souligné la nécessité d’un modèle de développement qui ne servirait pas qu’aux profits de certaines entreprises et des politiques, mais à tout le monde. La place reprenait en choeur : « El pueblo unido jamás será vencido  » .

La compagnie de théâtre _Las lágrimas que hablan_ rejoue les évènements autour de l’arrivée d’HidroSalá à San Pablo

Pour mieux comprendre l’esprit qui anime ceux qui ont été emprisonnés pour avoir défendu la terre ou tout simplement être des habitants autochtones de San Pablo, concluons avec ces mots de Marco Tulio Pérez en prison : « Je suis apolitique, il n’est pas nécessaire d’être un politique, ce qui importe ce sont la nature et les ressources naturelles. Ça me fait mal qu’on ne prenne pas soin des ressources. C’est un privilège d’être un prisonnier politique si c’est pour défendre la nature de ce pays. Je n’aurais jamais pensé qu’à San Pablo il allait y avoir des prisonniers politiques. Nous voulons juste une culture de paix ».

Notes :

1. Manuel Ayau Cordón a été le directeur de l’entreprise pétrolière Basic Resources, qui exploitait le pétrole dans l’actuel Parc National Laguna del Tigre (Péten), et dont le contrat d’exploitation appartient depuis 2001 à l’entreprise franco-britannique Perenco. Son neveu, Antonio Minondo Ayau, est l’actuel directeur des opérations de cette entreprise signalée par les défenseurs des droits humainset le Collectif Guatemala pour ses nombreuses violations aux droits humains, et ses impacts sociaux et environnementaux.

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