L’autonomie des peuples niée et muselée

La communauté maya Q’eqchi’ et San Juan Sacatepéquez sont les derniers témoins de la violente négation de l’autonomie des peuples autochtones au Guatemala. Les attaques contre des médias indépendants locaux comme à Chiquimula et au Nord de Huehuetenango montrent également les agressions à la liberté d’information et de manifestation. Pau Dachs, accompagnateur à Huehuetenango – San Marcos, vous livre son analyse des situations qu’il a observées depuis le début de sa mission dans la région.

Un mois après l’épisode répressif à Semococh et Monte Olivo, en Alta Verapaz(1), le conflit social a explosé à San Juan Sacatepéquez : huit personnes ont été assassinées entre le 19 et le 20 septembre lors d’un supposé nouvel épisode des divisions présentes depuis 2007 concernant le projet d’installation de la cimenterie Cementos Progreso et la construction d’une route régionale. Suite à ces morts, le gouvernement a décrété un état de prévention à San Juan Sacatepéquez qui a été prolongé un mois plus tard(2). Le Haut -Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH) s’est prononcé contre cette mesure, indiquant qu’elle n’était pas une solution efficace à San Juan Sacatepéquez, -se référant aux faits de 2008, lorsqu’un autre état de prévention avait été décrété et que la violence n’en avait pas diminué pour autant- et appelait le gouvernement à reprendre un vrai dialogue en suivant les standards internationaux relatifs aux droits des peuples autochtones(3).

Attaques visant les médias indépendants(4)

Ces dernières semaines, les medias indépendants ont fait l’objet d’actes de persécution de la part des appareils de l’État. Lors des violences en Alta Verapaz, deux journalistes du Centre des Médias Indépendants (CMI) du Guatemala(5) ont été victimes d’attaques. Les médias alternatifs ont de nouveau été la cible de répressions lors des mobilisations nationales des 17 et 18 septembre contre différentes lois visant la criminalisation de la protestation sociale et du droit à la manifestation. Cinq journalistes, parmi lesquels Norma Sut Sancir de Prensa Comunitaria, ont été arrêtés et emprisonnés par la Police Nationale Civile (PNC) le 18 septembre, alors que des rumeurs racontaiten qu’une communauté se faisait expulser, et que des violences commençaient à avoir lieu. Prensa Comunitaria a critiqué ces détentions illégales et dénoncé les violations des droits des cinq détenus(6). La journaliste indépendante a affirmé que les photos qu’elle allait prendre ce jour -là « avaient pour but d’informer sur ce qu’aucun autre média n’allait diffuser ». Son inquiétude principale au moment de sa détention : « personne ne va documenter ce qu’il est en train de se
passer, la violence contre les communautés Ch’orti’es
 »(7).

La journaliste Norma Sancir, de Prensa Comunitaria, a été détenue quatre jours. Photo de Quimy de Leon

Rappelons que l’une des mesures contre lesquelles la protestation a été organisée est la « Loi pour la circulation par routes libres de tous types d’obstacles », connue sous le nom de « Loi des dos d’âne(8) ». Mise en vigueur en mars, elle empêche d’entraver la libre circulation des véhicules, fixe une amende pour les personnes en infraction de 1.000 à 5.000 quetzales (100 à 500€) et, dans certains cas, une peine d’un an de prison. Au regard des mouvements sociaux et de l’Unité de protection des défenseur-es des Droits Humains (UDEFEGUA), cela constitue une violation flagrante du droit constitutionnel de réunion et de manifestation publique(9).

Diffamations et censure

Le nord de Huehuetenango a vécu récemment un autre exemple de bâillonnement imposé aux formes d’organisation des peuples. Le 23 septembre dernier, le Gouvernement Plurinational Q’anjob’al, Chuj, Akateco, Poptí et métis, constitué en décembre 2013 comme autorité de ces nations selon des principes ancestraux, organisait une manifestation pacifique devant la mairie de Santa Eulalia. Ses représentants y questionnaient le maire, Diego Marcos Pedro (parti UNE[10]), notamment quant aux agissements du conseiller municipal, Víctor López Pascual. Celui-ci s’est régulièrement autoproclamé représentant de 29 communautés dans la presse et a accusé le Gouvernement Plurinational de s’opposer de façon violente à tout genre de projets au nord de Huehuetenango(11). La majorité de ces accusations visait Rigoberto Juárez, leader maya Q’anjob’al de Santa Eulalia et coordinateur du Gouvernement Plurinational. López Pascual a également critiqué « l’indifférence » du gouvernement face aux problèmes sociaux de la région, véritable invitation à une intervention militaire et policière telle que celle mise en place en 2012 lors de l’état de siège de Barillas, la municipalité voisine.

Manifestation à Santa Eulalia, Huehuetenango, qui a dégénéré contre les organisateurs. Photo de Prensa Libre

Lors de ce rassemblement, le maire de Santa Eulalia a attaqué la légitimité du Gouvernement Plurinational tandis qu’un de ses collaborateurs qualifiait respectivement Rigoberto Juárez et les membres de ce Gouvernement de « guérillero » et de « gauchistes ». Le ton est rapidement monté et trois représentants du bureau régional du Procureur des Droits Humains (PDH), pourtant présents sur demande du Gouvernement Plurinational afin d’éviter de nouvelles accusations diffamatoires, ont immédiatement quitté les lieux.

À la suite de ces événements, la radio communautaire Snuq’ Jolom Konob’ a été déconnectée de l’espace radiophonique depuis les installations de la municipalité. Quatre heures plus tard, une délégation de représentants du Gouvernement Plurinational est parvenu à reconnecter la fréquence communautaire. Bien que l’interruption n’ait été que temporaire, elle constitue une attaque contre l’un des symboles du tissu social et de l’organisation communautaire de Santa Eulalia. Car cette radio communautaire, fondée entre autres par Daniel Pedro Mateo –qui fut l’un des visages les plus connus de la lutte sociale du nord de Huehuetenango avant d’être séquestré, torturé puis assassiné en avril 2013(12)- est non seulement un outil pour la revendication de l’autonomie du peuple Q’anjob’al, mais également un élément identitaire important pour la communauté.

La judiciarisation des luttes

Les publications et déclarations publiques diffamatoires font partie d’une stratégie qui vise à désarticuler la lutte pour la défense du territoire et qui, souvent, préparent un terrain propice à la criminalisation des dirigeants communautaires. Alors que la diffamation prétend générer un climat social propice à la remise en question de la légitimité de la lutte sociale, le système de justice accepte ces accusations en charges pénales au fondement douteux, et contribue à l’épuisement de la lutte.

Le cas des leaders communautaires du village Santa Rosa (Santa Cruz Barillas), Saúl Méndez et Rogelio Velásquez est un exemple type. Tous deux avaient été arrêtés et placés en détention préventive le 2 mai 2012, avec sept autres leaders pour des faits ayant eu lieu lors d’émeutes provoquées par le meurtre d’un voisin. Ces arrestations avaient été jugées arbitraires par les Nations Unies(13). Après avoir retrouvé la liberté en janvier 2013, ils sont à nouveau placés en détention préventive, le 27 août 2013, en étant cette fois accusés de meurtre et féminicide, dans un cas datant de... 2010. En prison, lors de leur première arrestation, Saúl Méndez et Rogelio Velásquez, avaient reçu des pressions pour « passer du côté de » l’entreprise Hidro Santa Cruz, dont les avocats pourraient les faire libérer sur-le-champ. Dans le cas contraire, leur accusation de lynchage, vieux de trois ans, serait maintenue. Ce procès est désormais sur le point de s’achever. L’audience de délibération du tribunal de féminicide de Huehuetenango, lors de laquelle sera rendu le jugement, est prévue pour le 28 octobre(14). Ainsi, Saúl Méndez et Rogelio Velázquez ont déjà passé 21 mois en détention préventive, avec les conséquences que cela implique : dommages psychologiques, pessimisme, conséquences économiques pour eux, leurs familles et les mouvements de résistance de Huehuetenango.

1. Voir Solidarité Guatemala 210.
2. Voir brève sur ce sujet.
3. Comuniqué du HCDH sur San Juan Sacatepéquez, 30.09.14.
4. Voir Solidarité Guatemala 210.
5. http://cmiguate.org/
6. « Periodista Norma Sancir : su detención violenta la libertad de expresión », Prensa Comunitaria, 22.09.14.
7. Témoignage de Norma Sancir. Forum « Prisonniers politiques et la criminalisation des défenseur-es des droits humains », organisé par CALDH, Ciudad de Guatemala, 23.10.14.
8. Ley de Túmulos.
9. « Nueva ley causa polémica social », Prensa Libre, 21.02.14.
10. Unité Nationale de l’Espérance
11. « Temen estallido social en el norte de Huehuetenango », Prensa Libre, 30.08.14.
12. Voir Solidarité Guatemala 203.
13. Résolution A/HCR/WGAD/2012/46 du Groupe de Travail sur les détentions arbitraires du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, adoptée le 15.11.12 (communiquée aux avocats des prisonniers politiques le 15.01.13, juste après leur libération, dictée le 09.01).
14. Date postérieure à la rédaction de cet article.

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