Équinoxe du 21 mars 2011. Instant magique et bouleversant, resté gravé dans nos mémoires : une foule multicolore et multiculturelle assiste silencieuse, sous la lumière de la pleine lune, à la première d’ « Oxlajuj B’aqtun », la nouvelle création du groupe Sotz’il. Une nouvelle force vive jeune et pleine d’espoir semble renaître après l’assassinat du guide spirituel et fondateur du groupe, Lisandro Guarcax, quelques mois plus tôt.
L’histoire et l’héritage du peuple maya kaqchikel coulent dans les veines des membres de Sotz’il, de jeunes artistes de la communauté El Tablón, située à quelques kilomètres du Lac Atitlán, dans le département de Sololá. A l’origine de ce mouvement, la famille Guarcax, forte d’une longue tradition d’engagement pour le développement communautaire et la transmission des coutumes et traditions mayas kaqchikels. Les jeunes de la famille et des proches, rassemblés autour de Lisandro, ont fondé en 2001 le centre culturel Sotz’il Jay ou la Maison de la Chauve-Souris. Le symbolisme est fort. Sotz’il, la chauve-souris, est en effet l’animal totem qui apporta le feu au peuple maya. Elle représente aussi le clan à la tête du peuple kaqchikel jus- qu’à l’arrivée des Espagnols à la citéforteresse de Iximché en 1524 [1].
A travers une étude approfondie du « Memorial de Sololá » -ouvrage compilant la tradition orale de l’histoire et la mythologie du peuple maya kaqchikel-, le groupe Sotz’il se livre à un exercice de « décolonisation culturelle et sociale » afin de redonner sa place à l’ordre maya, reconstruire et favoriser l’échange culturel, principalement dans les communautés et auprès des plus jeunes. En effet, dans un pays où plus de 60% de la population est d’origine maya, l’espace pour ce genre de manifestations artistiques est quasi inexistant ou réduit au folklore pour touristes.
De ce travail de recherche naît la création musicale et théâtrale du groupe. Pour les représentations de leurs compositions musicales, le groupe se pare de l’habit traditionnel des kaqchikels : la veste blanche avec la silhouette noire de la chauve-souris au dos et aux poignets, la jupe à carreaux noirs et blancs et le pantalon à rayures où prédominent le bleu, le violet, et le bordeaux. Ils étudient et fabriquent leurs propres instruments de musique traditionnelle. Le résultat est l’album Jom Kamasotz’ enregistré en 2009 : dix morceaux reproduisent l’essence même des énergies naturelles (l’eau, le feu) et vitales (des ancêtres, los abuelos y abuelas), autour des percussions, flûtes et ocarinas, sans oublier l’instrument guatémaltèque par excellence : le marimba [2].
Lors des représentations de leur dernière oeuvre théâtrale -Oxlajuj B’aqtun-, sept personnages ou plutôt « forces mythiques » évoluent à l’intérieur d’un immense cercle, parsemé d’aiguilles de pin et représentant les points cardinaux, les quatre coins de l’univers maya. Là encore, la richesse des costumes -des animaux et des dieux- ainsi que le symbolisme des peintures corporelles marquent la volonté de reproduire les traditions préhispaniques mayas dans leur intégralité. Au travers d’une danse mêlant attraction, lutte et déséquilibre entre les forces de l’univers, le groupe Sotz’il soulève ce questionnement : l’humanité est- elle prête à honorer ces forces, à leur donner une place pour ainsi trouver l’harmonie ? [3]
C’est donc cet héritage de peuple leader et combattant qui semble se matérialiser dans la force brutale des percussions de leurs compositions musicales et de la vivacité de leurs chorégraphies aériennes.
De belles initiatives fleurissent même dans l’adversité
Au cours du mois d’octobre 2010, ont eu lieu à Sololá, puis à Guatemala Ciudad deux festivals réunissant une multitude d’artistes pour rendre un ultime hommage à leur compagnon Lisandro Guarcax assassiné en août 2010 [4]. Rosa Chávez, artiste q’iché, déclame devant l’assistance le poème Ri Akux Nikotzijan -Ton cœur fleurit-, à la mémoire de Lisandro. Ce titre, deviendra plus tard le nom d’une singulière initiative du groupe Sotz’il : le mouvement d’artistes Ri Ak’u’x.
De nombreux artistes mayas, des organisations culturelles de la société civile et plusieurs autorités mayas se retrouvent tout au long de l’année 2011 afin de poser les bases de ce mouvement artistique comme mécanisme de transformation sociale. Ils réfléchissent et échangent autour de quatre axes : le rôle de l’expression artistique maya, la fonction sociale de l’art maya, les centres culturels de langue maya et la persécution des artistes. Leur but est de trouver une alternative civile à ce qu’offre le système établi.
Finalement en mai dernier, le mouvement lance son premier programme de soutien aux initiatives artistiques mayas, « l’Art pour la transformation sociale ». Les projets retenus recevront un appui financier, seront suivis par le mouvement Ri Ak’u’x et participeront au Festival International des Peuples Autochtones, qui aura lieu en février 2013 au Guatemala.
Anastasio Guarcax, père de Lisandro, résume parfaitement la substance du mouvement « trouver l’unité dans la diversité » et souligne également un point essentiel « c’est à la jeunesse de construire cette plateforme afin d’articuler un mouvement social de changement et de promotion de l’art ».
Poème - Le coeur de Tat [5] Lisandro Guarcax ne cesse de fleurir
Que mon cœur fleurisse lorsqu’il cessera de pomper de l’encre rouge, qu’il se couvre de petites épines et de fleurs jaunes, qu’on le peigne avec du nij [6] et qu’on y dessine des animaux et des oiseaux bicéphales.
Que mon cœur se défasse dans la terre et qu’il grandisse dans un arbre de pin, qu’il regarde à travers les yeux d’un hibou, qu’il marche sur les pattes d’un coyote, qu’il parle avec l’aboiement d’un chien, qu’il guérisse dans le quartz des cavernes, qu’il grandisse avec les bois d’un cerf.
Que mes cœurs soient liés à un serpent chamarré pour qu’ils ne se trompent pas de maîtresse, pour leur laisser un indice, pour les retrouver sur le chemin d’ici aux autres mondes.