Edito du bulletin Solidarité Guatemala 204 (Juillet 2013)
Le 10 mai 2013, le tribunal de Ciudad de Guatemala marquait les annales judiciaires internationales en condamnant pour génocide l’ancien dictateur José Efraín Ríos Montt à quatre-vingt ans de prison ferme : la peine maximale(1). Cinquante ans pour crimes de génocide. Trente ans pour crimes contre l’humanité. Un grand pas venait d’être franchi au royaume de l’impunité. Le 20 mai 2013, la Cour constitutionnelle guatémaltèque votait l’annula-tion de la condamnation.
Ríos Montt arriva au pouvoir le 23 mars 1982 à la suite d’un coup d’Etat. Il en fut chassé par un autre, mené par son ministre de la défense, Oscar Mejía Victores, le 8 août 1983. Son bref passage au pouvoir demeurera le plus sanglant des trente-six années du conflit armé le plus meurtrier du continent améri-cain au XXe siècle : 200 000 morts, 45 000 disparus et des mil-lions de déplacés entre 1960 et 1996. Evangéliste fanatique, Ríos Montt s’est alors employé à combattre la guérilla à travers les techniques apprises à l’Ecole des Amériques et à endiguer tout désir de mieux partager les richesses dans un pays où, à l’époque, dix familles possèdent 80 % des terres. Mais son zèle a transformé la répression en véritable massacre.
Les communautés mayas ixils des montagnes du Quiché, parties civiles dans le procès pour le massacre de 1 771 personnes, étaient alors considérées comme « subversives, communistes et terroristes(2) » : elles devaient donc être exterminées. C’est ce que les juges ont conclu des preuves versées par l’accusation, comme les plans militaires Victoria 82 et Plan Sofía, ainsi que les quatre-vingt-seize témoignages de survivants et d’experts, anthropologues et légistes, qui se sont succédés aux audiences depuis l’ouverture du procès, le 19 mars 2013. Tous, sans exception, ont rapporté la cruauté du sort réservé aux Ixils : viols systématique des femmes(3), victimes enterrées vivantes, décapitations, tortures, réduction des corps à l’état d’objet… Un homme, enfant à l’époque, a ainsi relaté comment les militaires se sont servis de la tête d’une grand-mère comme d’un ballon de foot(4).
Le verdict du 10 mai, tant attendu, est tombé trente et un ans après les faits, treize ans après le premier dépôt de plainte et après avoir surmonté soixante-douze recours et une demande d’amnistie. Mais il reconnaissait enfin, au niveau national et international, la réalité des massacres perpétrés contre les Mayas Ixils, la souffrance des survivants et le bien-fondé de leur combat pour la justice. Une telle condamnation semblait impensable il y a à peine deux ans, lorsque l’accusé occupait encore, depuis près de dix ans, le siège de représentant du peuple à l’Assemblée Nationale, s’étant même présenté aux élections présidentielles de 2003.
Toutefois, malgré le « lâchage » du général de 86 ans, qui explique en partie l’ouverture des poursuites actuelles, la défense compte toujours avec des appuis haut placés au sein de l’oligarchie économique, politique et militaire du pays, qui lui donnent les moyens « d’influencer » la justice. Parmi eux, le Comité coordinateur des associations agricoles, commerciales, industrielles et financières (CACIF, l’équivalent du Medef en France) ou la fondation contre le terrorisme qui ont dénoncé le procès et le rôle joué par les organisations internationales. Maxime Verdier, volontaire du Collectif Guatemala, présent lors des audiences, analyse ce contexte de diffamation et notamment cette bataille d’influence.
La plus haute juridiction du Guatemala a donc suivi les ordres du CACIF et voté l’annulation de la condamnation et le retour en arrière du procès au 19 avril dernier, lorsque les avocats de la défense avaient déposé un énième recours. Un hasard ? L’un des témoins de la défense venait de mentionner l’actuel président de la République, Otto Pérez Molina, général chargé du commandement militaire dans la région ixil sous le régime de Ríos Montt. Celui-ci aurait, à l’époque, commandé les incendies des communautés de la région.
En attendant, la plainte déposée en Espagne, selon le principe de justice universelle, contre Ríos Montt et sept autres ex-fonctionnaires impliqués dans des crimes commis durant le conflit armé(5), suit toujours son cours.
Dans ce pays soumis à l’arbitraire, les victimes devront donc continuer à se battre pour que la victoire du 10 mai l’emporte sur la défaite du 20… Le Collectif Guatemala continue d’être présent auprès des communautés : 4 nouveaux volontaires recrutés en mai partiront en 2013 pour poursuivre l’accompagnement protecteur sur le terrain. En France, nous avons accueilli en juin l’avocate espagnole Sofia Duyos, impliquée auprès des victimes depuis de nombreuses années, pour une conférence, l’exposition sur la mémoire photographique ixil y a été présentée pour la première fois hors du Guatemala. Nous avons également dénoncé avec d’autres associations dans une tribune publiée sur le site du Monde l’annulation du verdict du procès alors même que l’on assiste à une persécution croissante des défenseurs du territoire comme à Barillas ou à San Rafael las Flores. Cette recrudescence des conflits sociaux autour de l’exploitation et du contrôle des ressources naturelles n’a pas empêché le président du Guatemala de se voir décerner le prix du dirigeant de l’année par la Banque Interaméricaine de Développement(6)... ■
1. Pour écouter et lire la condamnation : « Audio de la sentencia condenatoria en el juicio por genocidio », Association justice et réconciliation (AJR), 10 mai 2013.
2. Selon Benjamin Jerónimo, président de l’AJR, partie civile dans le procès et lui-même survivant des massacres.
3. Sur les violations sexuelles comme armes de guerre, voir « Violencia Sexual como arma de guerra », AJR, avril 2013.
4. Toutes les audiences du procès peuvent être réécoutées en ligne sur le site Coordinacion genocidio nunca mas.
5. Jerson Ramos, « Exfuncionarios están procesados en España », Prensa Libre, 23 mai 2013.
6. « El presidente de Guatemala elegido lider del ano », El Pais, 31 mai 2013
Edito publié en partie le 27 mai sur les blogs du Monde Diplomatique.