Des syndicats réprimés discrètement

Le Guatemala est aujourd’hui le pays d’Amérique latine avec le taux d’affiliation syndicale le plus faible du continent latino-américain : moins de 3%de la population active serait syndiquée et, dans de très nombreux secteurs économiques, la syndicalisation reste un phénomène extrêmement limité. Cette faiblesse syndicale est souvent attribuée à la persistance de la gestion répressive des organisations syndicales par les entreprises et le laissez-faire des institutions d’Etat. L’OIT souligne à ce titre, depuis maintenant plus de quinze années, la persistance de violences antisyndicales (menaces de mort, agressions physiques, détentions illégales, homicides, tentatives de séquestration, disparitions forcées ou encore des cas de torture) et le climat d’impunité qui entoure ces actes. Au cours des cinq dernières années, 53 syndicalistes ont en effet été assassinés au Guatemala(1). Ce pays partage avec la Colombie les chiffres d’assassinats d’activistes syndicaux les plus élevés au monde. De nombreuses enquêtes réalisées par des militants ou des chercheurs soulignent comment la répression du syndicalisme au Guatemala passe par une délégation diffuse de la violence à des « entrepreneurs de violence », notamment des groupes paramilitaires ou des hommes de main recrutés par les patrons locaux.(2)

Laisser faire la violence ordinaire

Pourtant, à côté des assassinats, une nouvelle forme de répression antisyndicale voit le jour au Guatemala, moins visible mais tout aussi efficace. Les usines de l’habillement dans la périphérie de la capitale très nombreuses depuis les années 1970, offrent un exemple de pratiques antisyndicales « discrètes » mais très opérantes. Les syndicats dans cette industrie principalement détenue par des capitaux sud-coréens sont très rares : seulement quatre ont vu le jour depuis les années 2000 et ils ne rassemblent qu’une poignée d’ouvriers véritablement actifs. Pour lutter contre l’émergence d’organisations syndicales dans le secteur, les employeurs ont mobilisé toute sorte de techniques, certaines bien connues des union busters (casseurs de grèves aux Etats-Unis) comme l’intimidation (listes noires des « fortes têtes ») ou la création d’organisations d’employés opposés à la mobilisation et soutenues par le management. D’autres stratégies consistent à diviser les centres de travail en plusieurs sites pour éviter que les protestations ne fassent tâche d’huile. Les salariés soupçonnés de s’organiser sont alors identifiés, puis licenciés ; dans d’autres cas où la mobilisation syndicale finit par prendre, les usines sont déclarées en faillite (illégal mais validé par les autorités) et réinstallées ailleurs après avoir évacué l’ensemble de la main d’œuvre.

Mais, les employeurs ont aussi trouvé un allié de circonstance dans la lutte contre le syndicalisme dans les usines. Des groupes criminels – les maras – ont progressivement investi certains grands centres manufacturiers afin d’étendre leurs activités criminelles. Selon certaines estimations, les montants des extorsions organisées par ces groupes criminels auprès d’employés de maquilas auraient atteint la somme de 11 millions de quetzales (soit 1,5 million de dollars-3). Dans certains cas, la présence de maras dans l’usine est instrumentalisée par les employeurs à des fins de répression antisyndicale. Les employeurs mobilisent ainsi des membres de maras employés dans l’usine sur le risque que fait peser l’organisation syndicale sur l’emploi. Les employeurs délèguent en quelque sorte le travail de répression aux maras en encourageant les pratiques d’harcèlement et de menaces réalisées auprès des ouvriers syndiqués. Dans d’autres cas, les employeurs laissent faire les actions des maras à l’encontre du syndicat et, en particulier, des leaders syndicaux. Ces derniers sont en effet régulièrement visés par les maras qui exigent d’eux qu’ils s’impliquent dans les trafics d’extorsion dans l’usine. César, le secrétaire général d’une maquila de Mixco (SAE-A International), en a fait les frais : pendant plusieurs semaines, il a été harcelé par des membres d’une mara pour qu’il organise les extorsions. Josué, un syndicaliste d’un autre syndicat de la zone (Winners), a lui reçu une lettre de menace de mort signée Mara Salvatrucha. Tous deux ont pensé mettre un terme à leur engagement syndical tant ils vivent la peur au ventre au travail.

Une répression sans visage

Cette forme de répression n’a que des avantages pour les employeurs tant que l’activité des maras ne met pas en péril les impératifs de production : la répression est déléguée à moindre frais et leur responsabilité est ainsi « invisibilisée ». Cette répression s’appuie sur un projet de démobilisation assuré par la généralisation d’un climat quotidien de violences particulièrement peu propice à l’activisme politique sous toutes ses formes. Plus dissimulée, elle n’a pour visage que la délinquance ordinaire sur laquelle la responsabilité des actions antisyndicales est invariablement rejetée. Ainsi, au-delà d’effets négatifs sur les engagements syndicaux, cette répression a enfin un avantage : elle n’a en apparence aucun responsable ou coupable. Tout s’explique par la violence sociale endémique que l’Etat ne peut contenir. On en oublierait que cette violence sert finalement les intérêts de certains secteurs économiques. Les patrons des maquilas par exemple n’ont parfois même plus besoin de mobiliser des stratégies antisyndicales pour lutter contre les mobilisations de salariés, ils n’ont qu’à laisser faire la violence ordinaire et quotidienne. En ce sens, les groupes criminels sont devenus des alliés de circonstance. Toujours dénoncés publiquement, ils sont néanmoins régulièrement utilisés dans l’ombre pour faire le « sale boulot ».

1. Selon les chiffres de la mission de haut niveau de l’OIT de 2011
2. De nombreuses organisations syndicales comme la Confédération syndicale internationale (CSI) ou la fédération internationale des travailleurs de l’alimentation (UITA) dénoncent régulièrement les violences antisyndicales dans les zones rurales au Guatemala et en Colombie notamment.
3. Lorena Alvarez, « Economia illegal : el diez por ciento del PIB », El Periodico, 29/01/2010.

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