Rigoberto Juárez Mateo, Domingo Baltazar, Ermitaño López Reyes, Francisco Pedro Juan, Arturo Pablo Juan, Sotero Adalberto Villatoro, Mynor López, tous accusés d’enlèvement et séquestration dans trois affaires différentes qui ont finalement été rapprochées dans un même procès, qui a débuté le 6 juillet 2016.
Ciudad de Guatemala – Le 5 juillet dernier a débuté le débat oral et public à l’encontre de sept autorités communautaires du nord du département de Huehuetenango, criminalisés pour avoir défendu le droit à la vie et à l’eau de leurs peuples (1). C’est la première fois qu’une affaire de défense du territoire arrive jusqu’à un Tribunal de haut-risque dans la capitale du pays. La juge qui préside le panel de trois juges est Yassmín Barrios Aguilar, célèbre pour avoir prononcé une sentence condamnatoire pour génocide à l’encontre de l’ex-dictateur Efraín Ríos Montt en 2013.
Les autorités criminalisées ont déjà passé plus d’un an en prison. Leurs proches, ainsi que leurs peuples, ont l’espoir d’une sentence favorable qui mène à leur libération. Tous sont emprisonnés pour un prétendu « enlèvement et séquestration », charge qui ne permet pas la mise en liberté conditionnelle, et en cours de jugement pour des faits advenus en avril 2013, janvier 2014 et janvier 2015. Il est à signaler que les seuls plaignants sont des employés du système judiciaire (procureurs, juges, personnels administratifs, policiers) ou des employés de l’entreprise espagnole Hidralia Ecoener.
Ces dernières années, les agressions de la part d’entreprises qui convoitent les ressources naturelles présentes dans le territoire communautaire se sont multipliées : Hidralia Ecoener à Santa Cruz Barillas, l’entreprise PDH S.A. à San Mateo Ixtatán et l’entreprise 5M à Santa Eulalia. S’y ajoutent les dizaines de concessions hydroélectriques et minières qui existent dans le nord de Huehuetenango, ceci en dépit des consultations communautaires qui ont été réalisées dans toutes les municipalités de la région et qui rejettent ce type de projet.
Depuis 2012, trois personnes ont été assassinées dans ce territoire : Andrés Pedro Miguel en 2012, le leader communautaire distingué Daniel Pedro Mateo en 2013 et le jeune Pascual Basilio en 2015 (2). Tous s’étaient opposés à l’implémentation de projets hydroélectriques de la part des trois entreprises mentionnées. S’ajoutent à ces assassinats les affaires de menaces, d’agressions physiques et de criminalisation à l’encontre de ceux qui s’opposent à ces projets. De cette façon, on cherche à déstabiliser les mouvements sociaux et autochtones du nord de Huehuetenango. Malgré tout, les habitants restent organisés et mobilisés dans leur lutte pour la défense de leurs territoires.
En ce qui concerne le procès, de nombreuses incohérences dans les enquêtes du Ministère public et dans les déclarations des témoins à charge ont été mises en évidence (3). Par exemple, Domingo Baltazar et Francisco Pedro Juan (deux des accusés) n’étaient pas présents le jour des faits, ce qui a pu être vérifié par des témoins les ayant vus à d’autres endroits ce jour-là.
De même, les employés du système judiciaire qui accusent les autorités communautaires ont admis dans leur grande majorité n’avoir pas assisté directement aux faits ou ne pas avoir été menacés ou agressés directement, mais avoir entendu ces affirmations d’autres personnes. De plus, les témoins semblent suivre un format standardisé pour accuser les inculpés, ce qui a été dénoncé par les avocats de la défense.
Les employés d’Hidralia Ecoener, qui figurent comme plaignants dans l’affaire d’avril 2013, accusant trois des autorités communautaires, ont reconnu qu’ils n’avaient jamais été plaignants et n’avaient jamais signé de document accusant les personnes détenues. Certains disent connaître l’avocat qui dit les représenter, Hugo Villatoro, qui travaille pour l’entreprise, d’autres disent ne l’avoir jamais rencontré. Plus perturbant est le fait qu’ils aient déclaré avoir été forcés à signer un document où ils promettaient de ne plus travailler pour l’entreprise (raison pour laquelle les inculpés ont été accusés de coaction) mais affirment en même temps avoir continué de travailler pour celle-ci par la suite. Ils ont cependant été embauchés par l’entreprise jusqu’en juin 2016.
En défense des leaders communautaires et en solidarité avec ces prisonniers politiques, neuf prix Nobel de la Paix ont écrit une lettre au président du Guatemala pour exiger la libération des prisonniers politiques et que l’Etat annule les plus de 60 mandats d’arrêt émis à l’encontre d’habitants du nord de Huehuetenango et qui installent la peur dans les communautés (4).
Dans le même sens, Amnesty international a publié un communiqué sur le sujet, ainsi qu’un ensemble d’organisations sociales parmi lesquelles Coordinación y convergencia maya Wakib Kiej, Ukux Be, ADH, Colectivo Madre Selva, CALDH, UDEFEGUA, CEDFOG et bien d’autres. Dans la salle d’audience est présente la communauté internationale et nationale : OACNUDH, ambassades européennes et organisations de droits humains et observateurs internationaux etc.
Les habitants du nord de Huehuetenango, loin de se laisser abattre par la vague de menaces, violences et intimidations à leur encontre, ont décidé de continuer la lutte. Ces derniers jours, ils se sont tenus informés des événements à l’intérieur de la salle d’audience où sont jugées leurs autorités communautaires, qui font partie du Gouvernement plurinational q’anjob’al, chuj, poptí, akateko et métis.
Il se dit déjà que cette affaire pourrait faire école et de nombreuses attentes se concentrent autour de la sentence qui sera probablement prononcée vendredi 22 juillet.
Liberté aux prisonniers politiques du territoire q’anjob’al, chuj, poptí, akateko et métis !
Solidarité avec la lutte pour la défense du territoire dans le nord de Huehuetenango !
1. ACOGUATE, "Ouverture du procès contre les défenseurs du territoire du nord de Huehuetenango", traduit par Peace Watch Switzerland, 05.07.16
2. Plus d’informations sur les cas de Andrés Pedro Miguel, Daniel Pedro Mateo (ici et ici), Pascual Basilio
3. Pour un compte-rendu détaillé, voir les bulletins quotidiens de CALDH
4. Andrea Ixchíu Hernández, "Premios Nobel de la Paz piden liberación de los Presos Políticos en Guatemala", Prensa comunitaria, 18.07.16