Samy Ochoa fait partie depuis 8 ans du collectif artistico-ludique Caja Lúdica qui agit pour l’émancipation des jeunes dans la société guatémaltèque. Il partage avec nous son expérience de militant au sein de cette organisation sociale et culturelle qui, mêlant l’art à la culture, accompagne des processus de formation et d’incidence politique dans différentes régions du Guatemala.
Comment s’est formée Caja Lúdica ?
Samy : Caja Lúdica est un collectif d’artistes qui se forme en 2000. Il regroupe deux collectifs dont Arte Urbano qui, dans le Guatemala de l’après-guerre, recommence à utiliser l’espace public pour présenter ses idées et en débattre, pour provoquer et générer des réflexions sur comment vit la société guatémaltèque. En ce sens, nous avons intégré des valeurs que nous continuons de défendre comme briser les peurs, briser le silence et la méfiance. L’autre influence vient d’une organisation de Medellín, en Colombie, qui développe le travail via l’art et la culture dans les quartiers où s’est implanté le trafic de drogue. De ces deux expériences qui se rejoignent, naît un festival : “Octubre Azul”, qui évoque la Révolution d’Octobre 1944, et dont l’objectif est de retourner dans les rues. L’idée de ce festival est poétique, elle suggère qu’il peut y avoir plusieurs Octobre pour faire cette révolution, et pas forcément par les armes mais en provoquant un mouvement de jeunes, artistique, qui surgit après la guerre civile, avec l’intention d’occuper de nouveau les rues et les espaces publics pour que les gens puissent exprimer ce qu’ils ressentent, ce qu’ils pensent : former la critique sociale.
Ces deux collectifs s’organisent alors pour développer l’expérience du festival afin de former ensemble une structure permanente : c’est ainsi que naît Caja Lúdica. A ses débuts, les premiers ateliers s’organisent dans la rue, dans le Parc central, parfois sur des terrains de basket ou de football, ou à proximité des marchés de quartier. Les jeunes, venant du Limón, de la Zone 18, de la Zone 7, Villa Nueva, et d’autres secteurs des alentours de la capitale [1], se rassemblaient pour des ateliers théâtre, de cirque, de musique, de poésie avec l’intention de générer une sorte d’équipe, qui serait capable d’assumer l’art comme forme de vie mais aussi comme une méthodologie pour continuer de provoquer et d’enseigner. Nous l’appelons “méthodologie ludique Action - Participation - Transformation” : à partir de l’art et du ludique, en participant et en apprenant, on transforme des idées, non seulement ses propres idées mais en pensant transformer notre environnement. C’est ainsi qu’a commencé Caja Lúdica. Notre politique est d’ouvrir et de consolider des espaces pour l’art et la culture, pour le dialogue, les rencontres mais aussi les formations, fondamentales selon nous. Nous croyons que la connaissance de soi-même est importante : tu te connais bien toi-même, tes aptitudes, tes capacités... et ensuite tu te lies à ton environnement et tu peux y apporter des changements.
Peux-tu développer sur les formations de Caja Lúdica ?
Samy : Nous avons créé deux formations de gestion culturelle et d’animation culturelle, qui incluent une formation politique, et historique, sur le sens de la culture dans un pays comme le Guatemala, où il y a une grande diversité culturelle. Je pense que les richesses culturelles et écologiques de ce pays sont fondamentales, pour nous mais aussi pour le monde. Aussi, je suis convaincu qu’il y a autre chose, quelque chose de très énergétique : au Guatemala, il y a des énergies présentes qui font qu’on est heureux d’y être, malgré la cruauté que vit ce pays.
L’Université de San Carlos s’est alliée à Caja Lúdica, reconnaissant l’importance de générer des espaces artistiques et culturels, nous donnant ainsi une accréditation académique. Nous nous étions aperçus que beaucoup de parents ne laissaient pas leurs enfants assister aux ateliers, parce que les diplômes ne venaient pas d’une “école”. Avec ce soutien, il est plus facile d’obtenir l’autorisation des parents. L’intérêt du collectif est de générer des capacités chez les jeunes, pour leur permettre d’assumer un sens critique de la vie et que la culture puisse être moteur de changement.
Comment arrivez-vous dans les communautés villageoises ?
Samy : Le déclic est la comparsa. Les instituteurs d’un village nous appellent pour faire une comparsa : c’est public, pleins de couleurs et de joie alors les gens ressentent ces bonnes vibrations et se sentent connectés. A partir de ces activités ponctuelles, comme les ateliers théâtre ou les batucadas, nous proposons ensuite aux jeunes de former un groupe afin de pouvoir construire avec eux un processus à plus long terme, c’est ainsi que nous intégrons de nouveaux groupes de jeunes.
En mai dernier, Caja Lúdica a participé à une importante rencontre artistique, la 11ème « Bienal de La Habana » à Cuba, avec pas moins de 40 pays représentés. Comme chaque année, le collectif Caja Lúdica a organisé une comparsa lors de la manifestation du 30 juin, journée de commémoration des victimes de la guerre civile, qui a eu lieu cette année à San Juan Sacatepequez, en solidarité avec les 12 communautés en résistance contre la cimenterie Cementos Progreso, et qui protestent contre l’ouverture d’une nouvelle caserne militaire. Ils y ont apporté le son de leurs tambours et lu des extraits de poésie politique.
Et malgré la perte de 4 compagnons ces dernières années, le collectif Caja Lúdica continue sa lutte pour apporter espoir, joie, soif de vivre et de se battre pour le changement, aux personnes qui croisent leur chemin.
A la mémoire de Fu, que l’on se rappelle éclatant de rire sur sa chaise roulante, de Gordo et Chucky, qui parcouraient les quartiers et les rues vêtus de leurs larges pantalons et leur nez rouge, de Victor el Mono, qui continue à danser et sauter du haut de ses échasses... Por la vida !