Au Guatemala, les droits des Mayas au cœur des enjeux politiques et sociaux

Cet article est une tribune qui a été rédigée par les membres du réseau informel Intercollectif Guatemala. Elle a été publiée en ligne sur LeMonde.fr

Le 20 mai dernier, la Cour constitutionnelle guatémaltèque annulait une décision historique : la condamnation de l’ancien dictateur Efraín Ríos Montt pour crime de génocide et crimes contre l’humanité à l’encontre de la population maya ixil, obtenue le 10 mai 2013 après 13 ans de bataille juridique engagée par les survivants. C’était la première fois qu’un tribunal national condamnait pour de tels crimes un ancien chef d’Etat sur son sol. Cette annulation ajoute à la violence et à la discrimination historique que continuent de subir les populations autochtones. C’est un verdict très politique qui prolonge l’impunité dans le pays.

Dix-sept ans après la signature des Accords de paix, ce jugement représente pourtant un espoir de justice et de réconciliation dans un pays meurtri par la violence, où l’on assiste à une recrudescence des conflits sociaux autour de l’exploitation et du contrôle des ressources naturelles. Les dirigeants des organisations des peuples autochtones qui s’opposent à des projets de barrages hydroélectriques, d’extractions minière ou pétrolière font l’objet d’une répression féroce. L’Unité de protection des défenseurs des droits humains du Guatemala, a recensé pas moins de 169 attaques à leur encontre au premier trimestre 2013.

L’Etat et les entreprises qui s’installent dans le pays continuent d’ignorer ouvertement le droit à la consultation libre, préalable et informée des peuples autochtones reconnue par la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail. Pourtant depuis 2005, les communautés mayas et xincas ont organisé plus de 70 consultations auxquelles ont participé plus d‘un million de personnes dans un pays qui compte 15 millions d’habitants. Le refus de l’installation sur leur territoire de mégaprojets qui mettraient en péril leur droit à la vie et à un environnement sain, a été massif. Mais on cherche à étouffer leurs revendications : leur résistance est criminalisée, leurs dirigeants sont menacés, persécutés, voire assassinés.

En mars dernier, à San Rafael las Flores, quatre leaders communautaires xincas ont été enlevés alors qu’ils revenaient d’une consultation communautaire contre le projet d’extraction minière de l’entreprise canadienne Tahoe Ressources. Quelques jours plus tard, l’un d’entre eux était retrouvé assassiné, avec des marques évidentes de torture. Selon les témoins, des milices en lien avec l’entreprise seraient directement impliquées. Le gouvernement a décrété l’état de siège dans la région le 2 mai 2013, annulant ainsi l’ensemble des garanties constitutionnelles, comme le droit de rassemblement et de manifestation.

Cette situation fait écho à ce qui s’était déjà produit un an plus tôt dans l’ouest du pays, à Barillas, avec l’assassinat d’un dirigeant communautaire opposé à la construction d’une centrale hydroélectrique par l’entreprise espagnole Hidro Santa Cruz. Face à la révolte qui s’en était suivie, le président Otto Pérez Molina avait répondu par l’état de siège et une répression qui a conduit à de nombreuses détentions pour « terrorisme ». Ces arrestations ont été reconnues par la suite comme arbitraires, et Rubén Herrera, leader communautaire, détenu en mars 2013 alors même qu’il n’était pas présent sur les lieux des incidents qui lui sont reprochés, a été libéré le 30 mai dernier. Daniel Pedro, un autre défenseur du territoire à Santa Eulalia a lui été enlevé avant d’être retrouvé assassiné en avril 2013. Ces exemples ne constituent pas des cas isolés et la liste des exactions ne cesse de s’allonger, témoignant d’un même déni de droits aux populations autochtones dans le pays.

En 1992, le monde entier s’était ému pour cette cause lorsque Rigoberta Menchú, militante maya Q’eqchi’, s’était vue décerner le prix Nobel de la paix, donnant à croire que la réconciliation allait s’engager au Guatemala. Vingt ans plus tard, le début de reconnaissance du génocide est un pas important. Mais l’annulation du jugement contre Ríos Montt pose de sérieux doutes sur la volonté des élites d’accorder aux populations autochtones toute leur place.

Signataires :
Jean-Etienne de Linares, Délégué général de l’ACAT.
Geneviève Garrigos, Présidente d’Amnesty International France
Bernard Pinaud, Délégué général du CCFD
Marilyne Griffon, Présidente du Collectif Guatemala
Bernard Thibaud, Secrétaire Général du Secours Catholique
Janine Forestier, Présidente de Terre des Hommes France

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