Une lutte inlassable pour les terres ch’orti’

Traduction de l’article publié sur le blog d’ACOGUATE

Elodia Castillo Vásquez est à la tête d’une municipalité autochtone depuis ses 22 ans. Elle est actuellement représentante légale de la Coordination d’associations et de communautés pour le développement intégral du peuple ch´orti´- COMUNDICH qui rassemble autour de 48 communautés autochtones des départements de Zacapa et Chiquimula. Le travail des organisations s’articule autour de deux axes prioritaires : la préservation de l’identité culturelle du peuple maya ch´orti´ et la restitution de ses terres ancestrales. Elles sont aussi engagées en faveur de l’égalité hommes-femmes et cherchent à promouvoir le rôle de la jeunesse.

Elodia Castillo entourée des leaders des communautés de la Unión - Zacapa, Camotán, Jocotán, des représentants de Totonicapán, de la communauté indigène Xinca, de Tisanmarté et de Tachoche
(photo : Zuleika Romero)

Comment vous définissez- vous ?

Je suis une femme, je m’estime, j’estime ma lutte et ce que je fais. Si je le fais, c’est parce que cela me plaît de collaborer à chaque fois que c’est possible. Je fait partie de cette lutte, et en tant que femme, j’ai la responsabilité de défendre mes droits et de renforcer mes capacités. J’ai aussi celle d’acquérir des savoirs et des connaissances en poursuivant la lutte engagée par nos parents et nos aïeux.

Vous vous décririez aussi comme défenseure des droits humains ?

Oui, je pense que oui. Bon, ce que je peux dire, c’est que dans mon cas, comme femme autochtone, j’agis dans ma communauté lorsque cela me semble nécessaire. Depuis toute petite, j’ai cherché à apporter ma contribution en intervenant dans des foyers où la discrimination contre les femmes est très forte. Il y a de nombreuses années, j’ai soutenu ma sœur parce que son mari la battait. Il disait qu’il allait la tuer et il la battait parce que cela lui plaisait. J’ai soutenu ma sœur et une plainte a pu être déposée. Le lendemain, la police est arrivée. Si je me sens défenseure de droits humains, c’est aussi en raison de la lutte que nous menons pour que soient respectés les droits que nous avons sur nos territoires, que soient respectés les droits collectifs des communautés, et aussi de ce que nous faisons en faveur des droits des femmes.

Décrivez-nous vos activités quotidiennes et vos responsabilités.

Je suis representante légale de Comundich. Je ne fais pas seulement un travail de bureau, je dois aussi être à disposition des communautés et coordonner les processus qui émergent depuis celles-ci. Je m’occupe de la communication avec les dirigeants, des hommes surtout et également quelques femmes. A part ça, je suis la maire autochtone de ma communauté. Nous avons tenu une assemblée des peuples autochtones. La fonction de ces réunions est de rendre possible la communication et la coordination de la communauté depuis le niveau local jusqu’à l’échelon régional et national.

Quel a été votre parcours jusqu’à maintenant ?

J’ai parcouru un chemin important. Depuis toute petite, ceux de ma communauté m’ont accordé des responsabilités : au conseil directif, et aussi dans le comité scolaire. Dès ce moment, j’ai été prise en compte par la communauté. Ensuite est arrivé le moment de lutter pour la montagne et pour la terre. Mon engagement, ma participation viennent de quand venait le moment de payer les terres, et que ceux qui ne payaient pas étaient menacés d’expulsion. Quand je suis arrivée, on m’a dit qu’il existait un conseil des jeunes. Je suis allée à la première réunion, puis à la suivante et j’ai continué. C’est à ce moment que la communauté m’a nommée [à ce poste], car en tant que femmes nous avons le droit de lutter, mais nous avons également une opportunité de faire connaître la situation, ce que nous ressentons et ce que nous vivons dans notre environnement. C’est une satisfaction pour moi que de pouvoir m’engager.

Quels obstacles avez-vous rencontrés sur ce chemin ?

La perte des compañeros nous a beaucoup affecté parce que depuis que nous avons commencé avec l’organisation et que nous avons commencé à lutter, nous avons toujours vécu comme des frères. Pour moi, ça a été très difficile, mais en tant que femme, je me sens la force de continuer à porter tous ces processus de résistance. Au jour d’aujourd’hui je suis toujours debout dans la lutte. A une une époque, je voulais étudier et je l’ai dit à mon père, mais celui-ci ne me l’a pas permis. C’est une forme de machisme que nous subissons depuis bien longtemps. Lorsque j’ai commencé à participer aux activités de l’organisation, j’ai pu avoir cette opportunité d’apprendre. J’écoutais la radio pour réussir l’école élémentaire et le dimanche, j’allais porter mon travail à Jocotán et faire des exercices. C’est comme ça que je faisais. Un an plus tard, je me suis dis « je vais continuer à étudier » et j’ai pu obtenir le baccalauréat. En tant que femme, je n’ai pas connu seulement la joie, j’ai aussi connu la tristesse.

Que pense votre famille de vos occupations ?

Lorsque la communauté a annoncé la nomination d’une autorité autochtone, ils ont décidé de me choisir. Ils m’ont dit « Nous voulons que ce soit une femme qui nous représente ». A ce moment-là, ma famille m’a dit : « Ecoute, tu es sur le point de t’engager dans une voie très sérieuse, très ardue, mais si tu le veux, nous allons t’aider ». Ma maman a ajouté : « C’est pour ça que tu es venue, pour servir et non pas pour être servie ».

De quelle manière ce travail affecte-t-il votre vie personnelle ?

(Rires) Le travail ne m’affecte pas parce que c’est une opportunité. Pour moi, ce n’est pas un travail, c’est une manière de contribuer à la lutte. Cette lutte, c’est ma lutte. C’est quelque chose que je dois faire.

En ce domaine, quelles sont les difficultés qu’impliquent le fait d’être une femme ?

La discrimination à l’égard des femmes qui se perpétue dans les communautés a bien sûr des répercussions dans ce domaine. En outre, la responsabilité incombe aussi au gouvernement national, parce que à ce niveau-là, le droit des femmes n’a pas été pris en compte. Il m’est arrivé que l’on me dise : « Toi, pourquoi tu es ici, en train de faire ce travail d’homme ? ». Lorsque je suis devenue maire, un groupe de quatre ou cinq personnes a dit que je ne pouvais pas occuper ce mandat car j’étais une femme. Nous avons alors organisé une réunion à l’occasion de laquelle ce thème a été abordé. Un compañero a demandé « Pourquoi ne peut-elle pas être maire autochtone ? Parce qu’elle est une femme. Mais en quel article la loi dit-elle que la femme ne peut pas participer ? ». « Bien au contraire, a ajouté un autre compañero, peut-être qu’une femme accomplira mieux cette tâche que nous, les hommes. » Depuis lors, je lutte pour que les compañeros reconnaissent mon plein droit, comme femme, à participer, appuyer et participer aux prises de décision. Maintenant ils me prennent en compte et voient que je suis impliquée dans toutes les organisations communautaires. La discrimination a baissé et d’autres femmes se sont impliquées.

Avez-vous fait face à de la diffamation ? Plus spécialement, de la diffamation liée au genre ?

Ah oui, beaucoup. Lorsque j’ai commencé, ça a été très dur. Quand une femme sort de sa communauté, les gens commencent à parler, à dire qu’elle se prostitue, que cette femme n’est plus la même. Jamais je n’y ai prêté attention, mais passé un moment, on commence à donner plus de poids à ces paroles. Ces diffamations sont liées au fait d’être femme. On entend par exemple des personnes dire « mais pourquoi cette femme est en train de parler ? ». A moi, il m’est arrivé la même chose. Des gens ont dit « cette femme, elle n’est pas dans la lutte ». Malgré tout, j’ai continué, tout cela ne parvient pas à m’éloigner de la lutte, bien au contraire. Au moins, cela veut dire que les gens se rappellent que j’existe et qu’arrivera le moment où ils se rendront compte de notre apport.

Avez-vous été victime de menaces ?

Je crois que cette lutte nous a enseigné énormément de choses. En tant qu’êtres humains, nous avons le devoir de parler et d’agir pour ceux qui ne le peuvent pas ou qui n’osent pas. Pour moi, ce chemin a été très difficile.

Pensez-vous que votre genre influe sur votre crédibilité ?

J’ai pu voir quelques succès et, le fait d’être une femme a eu une grande influence dans les processus. Dans la communauté, je suis parvenue à avoir un impact à être reconnue pour mon travail. Par exemple, ces jours-ci un comunitario a dit « Jamais je n’aurais imaginé qu’une femme serait à notre tête et dirigerait la communauté ». Je lui ai répondu « Je ne commande pas, nous prenons les décisions ensemble ». Pour moi, c’est cela apporter à la lutte. Ceci a également aidé à « contaminer » d’autres compañeras, car si elles voient que celle-là, là-bas, le fait, elles aussi peuvent le faire. J’y vois donc un effet positif.

Vous sentez-vous seule dans cette lutte ? Et seule en tant que femme ?

Non, je ne me sens pas seule, je ne me suis jamais sentie seule. Hommes comme femmes, nous luttons ensemble. Nous formons une famille. Cependant, il est vrai qu’au début, en tant que femme, j’ai pu me sentir seule.

Quelles sont vos aspirations pour le futur ?

J’aspire à continuer la lutte et à me former pour apporter davantage.

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