Six marcheurs pour l’eau

Traduction de la chronique de Sebastián Escalón et Simone Dalmasso publiée par Plaza Pública.

Ce vendredi 22 avril, des représentants de tous les bassins du Guatemala ont conflué vers un seul lieu : la place centrale de la capitale. Les fleuves humains sont nés dans plusieurs points du pays Tecún Umán à San Marcos, La Mesilla à Huehuetenango et Purulhá en Baja Verapaz et depuis ont grandi et se sont renforcés. Dans la capitale, s’est joint à eux un fort affluent de capitalinos. La Sixième avenue était bien petite pour recevoir environ 20 000 personnes. Chacune amenait sa propre histoire, voici six d’entre elles.

Marcheurs devant le Congrès
(Simone Dalmasso/Plaza Pública)

Les manifestants exigeaient la récupération des lacs, rivières et côtes pollués, déviés ou accaparés par les grandes entreprises. Ils cherchaient à alerter la population sur les problèmes auxquels font face les communautés de tout le pays devant le manque d’eau ou son mauvais usage. De plus, ils voulaient montre leur rejet de la criminalisation des luttes pour la défense des ressources naturelles.

Ce ne fut pas une promenade de santé : le sol ardent et le froid de la nuit furent les compagnons de route des paysans qui marchaient. L’hostilité des automobilistes et des chauffeurs routiers fut également une constante. Selon Marvin Morales, de la Croix rouge, les médecins et infirmiers ont assisté, le long du trajet, 630 personnes pour des problèmes comme la déshydratation, l’hypertension, les douleurs musculaires, l’hypoglycémie, les fièvres et diarrhées.

A l’arrivée, le sentiment général était l’espoir : celui d’être écoutés par les autorités, celui de pouvoir faire connaître les problèmes des communautés. Les paysans exprimèrent leurs craintes, leurs luttes et leurs difficultés à continuer à vivre du produit de la terre. Ceux-ci sont quelques-uns de ceux qui ont marché, crié des slogans, souffert et, enfin, se sont postés devant la Cour suprême de justice, devant le Congrès devant le Palais national, pour exiger que leurs drois soient respectés.

Javier Ramírez : le Guatemala le plus aride

De petite taille, visage rond, petite moustache et peau brunie par le soleil, Javier Ramírez est un paysan ch’orti’ originaire du hameau Talco Tisipe (Camotán, Chiquimula). Il vient de marcher sept jours depuis Morazán. « C’était bien. Nous sommes fatigués, mais dans la lutte », dit-il. Ses revendications : « alerter sur le sujet de l’eau, des forêts. Dire non aux mines, aux centrales hydroélectriques et au canal inter-océanique ». Sur le chemin, raconte-t-il, ils ont traversé deux rivières, mais, malgré la chaleur, il n’a pas voulu se baigner. « Il y avait trop de pollution, de déchets et d’animaux morts ». Ils ont seulement pris des échantillons d’eau pour les amener à la capitale.

Javier Ramírez est agriculteur. Depuis deux ans, ses efforts pour obtenir quelque chose de la terre ont été vains. Le changement climatique se fait déjà sentir dans un corridor sec de plus en plus grand et large. « L’année dernière il n’a pas plu, et cette année non plus ». La raison, dit-il, est la déforestation. Comme il n’y a plus d’arbres, il ne pleut plus. La seule façon de survivre dans ces conditions ? Aller « journaliser ». Ramírez laisse sa maison pour travailler dans les plantations de café du côté hondurien. Mais là-bas aussi la sécheresse affecte la récolte, et il y a donc moins de travail pour les paysans appauvris de Chiquimula.

(Plaza Pública)

Juliana Chuj : en défense du lac Atitlán

Juliana Chuj vit à El Tabón, à côté du chef-lieu de Sololá. Elle est membre d’une organisation de femmes qui produit et commercialise des aliments à l’amarante, une céréale très nutritive originaire d’Amérique centrale. Parmi les produits il y a de la farine, des popcorns, des biscuits et des bonbons. Juliana voudrait que ces aliments se substituent à la malbouffe vendue dans les magasins.

Juliana marche afin que les entreprises cessent de gaspiller et de polluer autant d’eau. « En tant que peuples mayas, nous ne pouvons pas vivre sans eau », commente-t-elle. Dans sa communauté l’eau ne manque pas, mais c’est le cas dans des communautés proches : l’eau y arrive à peine deux ou trois fois par semaine. Mais surtout, elle s’inquiète du lac Atitlán, qui reçoit les eaux usées des hôtels et restaurants. « Ceci nous affecte », tranche-t-elle.

Luis Icoxo : la dette pétrolière

Devant la Cour suprême, parmi le bruit des tambours se détache un groupe souriant de paysans q’eqchi’s qui tiennent une banderole écrite à la main qui dit : « Dehors Latin American Resources ». Ils sont originaires du village de Las Tortugas (Cobán, Alta Verapaz). Aimable et souriant, Luis Ixoco explique sa lutte contre une entreprise pétrolière qui extrait 150 barils de brut par jour de sa communauté.

Quand elle est arrivée en 2005, l’entreprise a offert du travail pour tous, l’électricité, une route, de l’eau courante et des bourses pour les jeunes. Mais jusqu’à aujourd’hui elle n’a attrapé que deux ou trois personnes, les autres sont restées les bras croisés. Ils n’ont réalisé rien de ce qu’ils avaient promis. Une fois, nous avons voulu discuter avec eux mais il n’y a pas eu de résultat. Nous avons donc bloqué leurs camions sur la route, mais ils nous ont envoyé la police et le juge. C’est pourquoi nous protestons ». Pour appuyer sa lutte, la communauté de Las Tortugas s’est rapprochée du Comité paysan de l’Altiplano (CCDA), une des organisations les plus présentes dans la marche pour l’eau.

Comme ils n’ont pas d’eau courante, malgré les promesses de Latin American Resources, chaque famille doit creuser son propre puits. Mais l’eau, affirme Luis Icoxo, n’est pas bonne pour la consommation humaine et elle sort souvent couleur de terre. C’est pourquoi ils ont marché depuis Purulhá. Une marche pleine de vicissitudes. « Ça a été bien fatiguant. Nous avons souffert de la faim et de la soif car nous n’avions pas d’argent pour acheter de l’eau. Parfois nous dormions dans la poussière, sans petate [natte de feuilles de palme] ni couverture pour le froid ».

« Nous voulons rentrer. Espérons que les autorités nous écoutent car sinon nous allons devoir rester ici qui sait jusqu’à quand » conclut-il, souriant.

Une fugitive dans la ville

La femme est appuyée contre un poteau électrique, visiblement épuisée. D’environ 40 ans, robuste, elle porte la traditionnelle jupe ondulée des autochtones q’eqchi’s. Elle se trouve en ce moment devant un dilemme : elle préfèrerait ne pas parler, mais elle ne veut pas non plus décevoir le journaliste qui insiste avec ses questions. A la fin, elle accepte d’expliquer pourquoi elle participe à la marche. « Nous luttons pour notre eau, pour notre terre et pour que nos droits soient respectés » s’exclame-t-elle.

Nous lui demandons son nom. Elle se montre de nouveau mal à l’aise, hésitante. Elle se tourne pour voir ses camarades et leur demande des conseils en q’eqchi’. A la fin, elle répond : « il vaut mieux que je ne vous donne pas mon nom car j’ai un mandat d’arrêt ». Ils l’accusent, raconte-elle, d’avoir provoqué un incendie, accusation dont elle se dit innocente. Tout ceci à cause d’un conflit entre sa communauté et un propriétaire terrien. « Le propriétaire dit que nous sommes des envahisseurs, mais ce n’est pas vrai, nous sommes natifs de là-bas. Mon père a vécu 65 ans à cet endroit. Ma mère est morte là-bas. Je suis née là-bas et j’y vis. Nous ne sommes pas des envahisseurs, nous avons des droits ». Quel est son avis sur la marche d’aujourd’hui ? « C’est fatiguant, mais c’est comme ça. Il faut lutter pour l’eau et la terre » dit-elle, avant de se perdre dans la foule.

(Plaza Pública)

Jesús Yanes : en lutte pour le Madre Vieja

Jesús Yanes, habitant corpulent de la Trocha 14 (Nueva Concepción, Escuintla), se met en colère quand il pense aux agro-industries qui continuent à dévier le cours du fleuve Madre Vieja. « Ces salauds n’ont rien fait de ce qu’ils avaient promis » se plaint-il.

Début mars, après vingt ans de protestations sans résultat, les 98 communautés du Madre Vieja ont décidé d’ouvrir les barrages et les déviations qui détournaient toute l’eau fleuve vers les plantations de palme africaine (agro-industries Hame) et de canne à sucre (raffineries Pantaleón, Madre Vieja et Magdalena). Après ces actions spectaculaires, ils ont accepté de négocier avec les entreprises et les autorités. Pendant qu’ils discutaient, les entreprises ont reconstruit les déviations. Le temps des communautés a passé dans des tables de négociations interminables et des accords qui ne sont pas appliqués.

« Ils nous font perdre du temps. Ils attendent l’hiver ces fils de pute ». Le fleuve Madre Vieja ne coule déjà plus jusqu’à la mer et n’alimente plus les puits des petits agriculteurs de la partie basse du fleuve. Il n’est pas surprenant que 175 personnes soient venues de Nueva Concepción, dont le maire. Il n’est pas surprenant que l’une des principales revendications de la marche soit de mettre fin au vol de fleuves.

Valdomera Xunic : Sumpango ne veut pas de la cimenterie

Valdomera Xunic, femme de petite taille de 54 ans, a rejoint la marche pour l’eau dans la capitale, avec ses deux filles Judith et Ruth, de 20 et 22 ans. Cette famille d’agriculteurs vit et travaille à Sumpango (Sacatepéquez). Ils cultivent maïs, haricots, tomates, piments et güicoy [espèce de cucurbitacée]. « A Sumpango tout pousse, mais si nous n’avons pas d’eau… ». Les femmes ne font partie d’aucune organisation. Elles sont venues de leur propre chef. Comment ont-elles eu connaissance de la marche ? « Par Facebook » répond Valdomera en désignant ses filles.

Valdomera et ses filles sont préoccupées par l’arrivée imminente de Cementos Progreso dans la municipalité. L’entreprise est déjà à Santo Domingo Xenacoj et à Santiago Sacatepéquez explique-t-elle. Et à Sumpango elle a déjà acheté des terrains. « Sans l’eau nous ne sommes rien. Mais eux ne font que polluer et assécher les rivières » accuse-t-elle. « Les entreprises minières veulent prendre une source d’eau et ceci va nous affecter » insiste-t-elle. Une preuve de l’imminence de l’arrivée de ces entreprises est, selon Judith, la construction de plusieurs pylônes électriques de l’entreprise Trecsa. D’après ce qu’elle sait, ils sont destinés à pourvoir les entreprises en électricité, mais à Sumpango très peu de gens ont conscience de ces projets.

Au-delà de la marche

Tout au long de la journée, les représentants des communautés se sont réunis avec les trois pouvoirs de l’Etat. Devant la Cour suprême de justice, ils ont demandé que cesse la criminalisation des mouvements sociaux, en particulier des luttes pour l’eau. Ils ont demandé au système de justice qui fasse valoir la décision de la Cour de constitutionnalité qui exige la fin des activités de la mine El Tambor à San Pedro Ayampuc. Aux députés, ils ont demandé que soient créés les délits de déviation de rivière et de fumigation aérienne. Ils ont aussi demandé que les débats autour de l’approbation de la loi des eaux soient publics et transparents. Ils ont expliqué aux députés que la loi devait considérer l’eau comme un bien commun ne pouvant être privatisé et considérer les communautés autochtones comme gardiennes de l’eau.

Comme l’explique María Dolores Marroquín, de l’Assemblée sociale et populaire, qui a appelé à la marche pour l’eau, a également été installé un « congrès populaire » dont la première mission a été de connaître quelques 70 plaintes. Des plaintes déposées par les communautés contre l’Etat, les municipalités et plusieurs entreprises dans tout le pays. « Il existe une logique d’alliance public-privé, dans laquelle l’Etat s’allie aux entreprises contre la population » accuse María Chúa Domínguez, du Réseau rébellion citoyenne (Red Rebeldía Ciudadana), qui participe à la coordination de la marche. Les responsables du détournement des rivières de la Côte sud ou les entreprises hydro-électriques du nord recevront une condamnation symbolique de la part des représentants des communautés.

Enfin, les organisations ont engagé des discussions pour rédiger un document appelé « Déclaration des peuples d’Iximulew sur le droit à la vie, la terre mère, le territoire et l’eau ». Pour Mario Sosa, chercheur de l’université Rafael Landívar et membre de l’Assemblée sociale et populaire, ce document est « une sorte de décret que les communautés se donnent à elles-mêmes ».

A la fin de la soirée, sous une forte averse, la plupart des participants de la marche, pacifique du début à la fin, sont retournés à leurs lieux d’origine.

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