Six ans d’esclavagisme sexuel perpétré pendant la guerre civile peut-être enfin jugés

Le 14 octobre dernier s’est déroulée la dernière audience d’étape intermédiaire pour le cas Sepur Zarco au Tribunal de Haut Risque B, au cours de laquelle le juge Miguel Angel Gálvez a décidé qu’il existait suffisamment de preuves à l’encontre des accusés pour ouvrir le procès (débat oral et public), après la présentation des preuves prévue pour le 29 octobre prochain(1).

Tribunal de Haut Risque B de Ciudad de Guatemala lors des audiences de preuves anticipées en septembre 2012. Femmes q’eqchi’es appelées à témoigner. Photo de Alianza Rompiendo El Silencio
Alianza Rompiendo El Silencio

Le cas Sepur Zarco est un cas emblématique de violences perpétrées à l’encontre de femmes mayas q’echi’es pendant la guerre civile. Plus précisément, il s’agit d’une affaire d’esclavagisme sexuel qui eut lieu entre 1982 et 1988 dans la base militaire de Sepur Zarco, entre les départements d’Alta Verapaz et Izabal.

D’après les quinze femmes et les quatre hommes qui donnèrent leur déclaration en tant que preuves anticipées au tribunal entre le 24 et le 29 septembre 2012, les militaires seraient arrivés en 1982 dans la communauté et, d’emblée, ils accusèrent les familles de faire partie de la guérilla, ou du moins de la soutenir. En réalité, elles faisaient partie d’un Comité pour l’accès à la terre. Cela n’empêcha pas les militaires d’arrêter la majorité des hommes, de les torturer et finalement de les faire disparaître.

Les femmes, alors veuves, furent violées à répétition par plusieurs groupes de soldats armés, dans leurs propres maisons, dans la montagne, sur les rives du fleuve Sepur, près du puits, dans le camp militaire et dans l’école. Puis, les soldats les obligèrent à se rendre régulièrement à la base militaire où elles devaient réaliser tâches ménagères et services sexuels.

Heriberto Valdez Asij. Photo de Quimy de Leon pour Prensa Comunitaria

Chacune leur tour, le visage caché, par pudeur mais aussi pour des raisons de sécurité -les accusés et leurs familles vivant dans les mêmes communautés qu’elles-, elles ont raconté l’horreur vécue, la douleur, loin d’être simplement physique, l’humiliation à laquelle on les a soumises durant tant d’années. L’une fut violée par trois soldats sur la rive du fleuve, une semaine après la disparition de son mari, et a souffert de terribles hémorragies ; une autre, enceinte de trois mois, a perdu son bébé trois jours plus tard alors qu’une autre est au contraire tombée enceinte, de son bourreau. Certaines ajoutèrent qu’ils s’étaient aussi attaqués à leurs filles, leurs tantes, leurs belles-sœurs. Beaucoup s’enfuirent dans les montagnes où leurs enfants moururent de faim.

Une témoin raconta qu’elle s’était adressée au lieutenant. Celui-ci lui avait répondu que c’était elle qui avait habitué les soldats à avoir des relations sexuelles avec elle. C’est peu après qu’on annonça aux femmes qu’elles devraient travailler dans la base militaire. Certaines y restèrent six mois, d’autres six ans, elles se relayaient tous les trois jours et travaillaient de 5 heures du matin à 5 heures du soir. Elles cuisinaient et lavaient leurs vêtements, sans qu’on les paye, elles devaient même acheter le savon et la nourriture avec leur propre argent. Pendant six mois, cette témoin a été violée constamment. Après chaque viol, on lui injectait un contraceptif pour qu’elle ne tombe pas enceinte. Plus tard, ils brûlèrent sa maison et tuèrent ses animaux. Elles devront toutes vivre près de la base militaire où la majorité d’entre elles travaillera encore jusqu’en 1988. Six années durant lesquelles les viols ne cessèrent jamais. A chaque fois qu’elles venaient prendre leur « service », elles étaient violées.

Les hommes aussi subirent tortures physiques et morales. Quatre en témoignèrent le dernier jour des audiences et confirmèrent les dires des femmes. L’un d’eux expliqua notamment comment il fut frappé et torturé pendant qu’il entendait sa femme être torturée et violée. Il ne pouvait rien faire, les soldats le surveillaient. Dix soldats. Il ajouta que ses filles aussi étaient présentes lorsqu’ils la violaient. Plus jamais il ne revit ni sa femme ni ses filles, dont les restes ont été retrouvés lors d’une exhumation sur les rives du fleuve.

Tribunal de Haut Risque B de Ciudad de Guatemala lors des audiences de preuves anticipées du 24 au 29 septembre 2012. Femme q’eqchi’e donnant son témoignage face au juge Miguel Ángel Gálvez. Photo de Plaza Publica

Suite aux déclarations et aux preuves rassemblées, le 14 juin 2014, l’ancien colonel Esteelmer Francisco Reyes Giron (sous-lieutenant à l’époque des faits) et l’ancien mandataire militaire Heriberto Valdez Asij ont été capturés. « C’était lui qui montrait les maisons des gens aux militaires et lui qui nous donnait les ordres : qui devait préparer à manger pour les soldats et ce que nous devions préparer »(2). Tous deux sont accusés de crimes contre l’humanité, le premier pour violences sexuelles, esclavagisme sexuel et esclavagisme domestique, le deuxième pour le viol de deux femmes pendant l’opération militaire du 25 août 1982 au cours de laquelle une vingtaine d’hommes ont disparu, et pour laquelle il est également accusé de disparition forcée. Le colonel Reyes, quant à lui, devra aussi répondre de l’accusation d’assassinat pour l’exécution de Dominga Choc et ses deux filles.

l’ancien Colonel Esteelmer Francisco Reyes Giron. Photo de Plaza Publica

Et, même s’ils nièrent les faits, le juge estima que les délits devraient être jugés et ce, dans leur contexte : celui de la guerre, où les massacres et les violences perpétrés par la dictature militaire à l’encontre des peuples mayas étaient une pratique généralisée. On se rappelle également de la sentence dictée par Yassmín Barrios en mai 2013, qui condamnait à 80 ans de prison le dictateur Efraín Ríos Montt pour crimes contre l’humanité et génocide, et qui démontrait que les violences faites à l’encontre des femmes furent récurrentes lors du conflit armé.

Extrait de la sentence pour génocide prononcée par la juge Yassmín Barrios, le 10 mai 2013 lors du procès à l’encontre d’Efraín Ríos Montt.

Aujourd’hui encore au Guatemala, les femmes sont quotidiennement victimes de violences ; un sujet qui reste pourtant tabou. Les mesures mises en place pour que cela cesse ? Généralement, on conseille aux femmes de ne pas sortir la nuit, seules et habillées de manière « provocante ». Le viol, ou toute autre forme de violence sexuelle, sera toujours de notre faute. Au Guatemala, oui, mais pas seulement.

Réussir à condamner ces violences qui constituent les crimes contre l’humanité les plus passés sous silence, permettra-t-il de réveiller les consciences ? Beaucoup l’espèrent...

1. Date postérieure à la rédaction de l’article.
2. Témoignage de l’une des femmes, lors des audiences de preuves anticipées.

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