Récupération de terres autochtones à l’Est du Guatemala : un succès dans la lutte de la communauté maya ch’orti’ de Corozal Arriba

Dans un contexte national morose où les agressions contre les défenseur-es du territoire et des droits humains se multiplient et où la criminalisation contre les dirigeants de la résistance et des communautés autochtones s’intensifie, la récupération des titres de propriété sur les territoires de la communauté maya ch’orti’ de Corozal Arriba, dans l’Est du pays, vient donner une bouffée d’oxygène et d’espoir. Pour comprendre le poids de cette victoire il est opportun de revenir sur l’histoire de Corozal Arriba à travers les témoignages de José Mendez Torres, président de la Commission des Terres de Corozal Arriba et d’Elodia Castillo, présidente de l’organisation COMUNDICH*.

Remise des titres au président de la commission des Terres, Jose Mendez Torres, par l’adjoint au maire de la Unión - Zacapa. Photo de Zuleika Romero
Zuleika Romero

José Mendez Torres, élu il y a deux ans à la présidence de la Commission des Terres, a été le principal représentant de sa communauté dans la lutte pour la récupération légale de leurs terres. Cette commission est née quand les membres de la communauté ont vu se multiplier les incidents et les menaces de la part de Villma Esperanza Chew, alors propriétaire de la montagne du Merendon sur laquelle se trouve la communauté. Villma Chew acquiert ce terrain durant le conflit armé interne (1960-1996), quand les paysans et les populations autochtones furent dépossédés de leurs terres au profit de l’élite militaire et économique du pays. Madame Chew a réussi à maintenir son statut de propriétaire terrienne durant toutes ces années, en usant du poing et du fer, sans jamais parvenir à démontrer un quelconque droit légitime.

«  Nous avons fait des recherches dans les registres cadastraux pour vérifier ses titres de propriété, pour voir si les terres qu’elle défend si férocement sont bien les siennes. Nous avons découvert qu’elle ne possède aucun titre. En revanche nous avons (re)découvert que notre communauté est propriétaire de ces terres depuis 1870, date à laquelle nous avons été déplacés par le gouvernement dans cette partie du pays. Nos ancêtres sont donc les premiers à venir habiter ces terres et nous en sommes les héritiers. C’est pourquoi elles nous correspondent tant dans les faits que dans la loi. À long terme, elle n’aura d’autre choix que de rendre la terre qui lui reste. », explique José.

 «  El Oriente », est une terre aride où les structures patriarcales héritées de la colonisation perdurent fortement. À cela, s’ajoute la présence de narcotrafiquants puisque cette région, frontalière avec le Honduras, est une des routes de la drogue vers le Nord. Le racisme est chronique dans les villes de ce « Far West », l’armée et la police omniprésentes jusque dans de petits villages isolés.

C’est ici dans l’Oriente qu’ont opéré les premières stratégies de répression envers les populations paysannes qui s’opposaient à la dépossession de leurs terres et que les premiers massacres ont eu lieu au début du conflit armé interne.

José Mendez Torres témoigne : « Les Accords de paix ont été signés mais sont restés sur le papier. Le pays vit toujours dans la peur du danger, il y a des menaces et nous, les dirigeants du secteur paysan, vivons la répression quotidienne. Les Accords de paix ne nous ont pas favorisés, du moins pas dans la pratique. En réalité rien n’a changé pour nous. Aujourd’hui ce sont les fils des mêmes familles de paysans qui se défendent contre les fils des mêmes familles de militaires d’il y a 30, 40 ou 50 ans. »

« Dans le processus de récupération des terres, la première difficulté a été de nous faire recevoir par le conseil municipal. Mais finalement, ceci n’était rien par rapport à l’action du Ministère Public (MP) qui a presque réussi à enrayer notre processus [de récupération des terres] en arrêtant trois compagnons qui sont encore en prison. En arrêtant ces trois paysans pour usurpation de terres, ils ont pensé que nous prendrions peur et que nous n’oserions plus revendiquer notre terre. Les représentants de cette institution se sont présentés aux côtés de Madame Chew et nous ont indiqué que nous devions abandonner nos terres, ou du moins les vendre au rabais si nous ne voulions pas être arrêtés comme nos confrères. Mais la communauté s’est organisée.  »

Et aujourd’hui, après des années de lutte, la communauté de Corozal Arriba est officiellement déclarée « Communauté Indigène Maya Ch’orti’ », ce qui lui a permis de revendiquer le droit historique sur ses terres et, avec l’aide de différentes organisations nationales et internationales, de se voir restituer les titres de propriété communautaire.

« Cette victoire n’est pas la mienne mais celle de toute la communauté qui a su s’organiser malgré les menaces et les agressions. Malgré l’assassinat de trois de nos compagnons le 6 juin dernier et le retard que cela a provoqué dans le processus, nous avons gardé la tête haute et la municipalité a enfin reconnu nos droits. »

Enfin, il faut souligner le rôle fondamental des femmes dans cette action : Elodia Castillo, 26 ans, a été témoin des violences commises durant la guerre et a décidé de prendre son avenir et celui de sa communauté en main. Elle a été élue présidente de la COMUNDICH en juillet dernier alors que la communauté de Corozal Arriba était en deuil de trois de ses membres, assassinés par les hommes de mains de Madame Chew.

Elodia Castillo entourée des leaders des communautés de la Unión - Zacapa, Camotán, Jocotán, des représentants de Totonicapán, de la communauté indigène Xinca, de Tisanmarté et de Tachoche . Photo de Zuleika Romero
Zuleika Romero

« Les femmes ont été incluses dans les espaces communautaires et dans les prises de décision. Maintenant nous sommes prises en compte pour les décisions importantes ainsi que pour la récupération de la mémoire historique de notre peuple. Nous avons su surpasser le machisme qui est si présent dans la société guatémaltèque », déclare-t-elle. « Je suis heureuse que nous ayons pu faire activement partie de ce processus. Les femmes prennent désormais des initiatives considérées dans les assemblées communautaires. Nous avons plusieurs projets de développement, comme la boulangerie communautaire, mais aussi une radio ch’orti’. Nous dispensons également plusieurs ateliers de formation pour les futures dirigeantes des communautés. Enfin, nous sommes engagées dans un processus de récupération de notre langue avec l’aide des anciens. »

Après des années de lutte et de revendications, et en dépit de toutes les actions mises en œuvre pour enrayer ce processus – principalement de la part des grands propriétaires terriens de la région –, cette victoire montre que le changement est possible lorsque les peuples sont unis et organisés !

* COMUNDICH : Coordination d’Associations et Communautés pour le Développement Intégral de la région ch’orti’

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