Mobilisation contre la « loi Monsanto », nouvelle étape du mouvement populaire au Guatemala ?

Dans le dernier numéro de Solidarité Guatemala, nous vous informions des menaces pesant sur les espèces de maïs cultivées par les paysans guatémaltèques, du fait de l’approbation du Décret-loi 19-2014, « loi pour la protection d’obtentions végétales », mieux connue sous le nom de loi Monsanto. Après une mobilisation massive de la population, la loi a finalement été abrogée le 4 septembre dernier. Toutefois, le combat pour la défense de l’agriculture paysanne est loin d’être terminé.

Une mobilisation nationale inédite

Tout avait pourtant été fait pour désamorcer la réaction de la population : comptant jouer sur la technique éprouvée du « sport opium du peuple », la loi a été adoptée le 10 juin, en pleine Coupe du monde de football. En août, cependant, la contestation de la loi arrive à occuper le premier plan de l’actualité nationale, portée notamment par le Congrès des Peuples mayas de l’Occident (CPO) et le Mouvement syndical, indigène et paysan guatémaltèque (MSICG), qui déposent des recours devant la Cour Constitutionnelle, tandis qu’au même moment des dizaines d’organisations et individus à travers le pays font connaître la loi et ses effets aux premiers affectés, les communautés rurales et paysannes. Devant la montée du mécontentement, les députés votaient le 3 septembre d’urgence nationale l’abrogation de la loi.

« Hommes et Femmes de maïs défendons nos semences locales, héritage de nos ancêtres : non à la loi Monsanto ». Photo de CMI

Le 5 septembre, la mobilisation se poursuivait cependant avec une rencontre nationale organisée à Chimaltenango. Convoquée en vue de coordonner la lutte entre les différents départements pour la dérogation de la loi, elle n’en fut pas moins maintenue après l’annonce de l’abrogation de celle-ci. Les tentatives désespérées de certains secteurs politiques, notamment du Parti Patriote (PP, au pouvoir), de conserver au moins certains aspects de la loi, permirent dans les faits à la mobilisation populaire de passer à un stade supérieur. En effet, le fait d’abolir la loi un jour seulement avant la tenue de la rencontre de Chimaltenango rendit inopérant l’effet recherché, à savoir la désactivation du mécontentement et des manifestations. Déjà en route pour certains, les participants se rencontrèrent donc non plus pour parler des moyens de lutter contre la loi Monsanto, mais pour analyser les conditions de leur victoire et discuter plus profondément des causes réelles de la crise. Ainsi, en plus de constituer un espace pour le partage d’expériences et de situations vécues (mégaprojets, conflits agraires etc.), permettant de se rendre compte de la similitude de celles-ci, cette rencontre fut l’occasion d’informer les personnes présentes du panorama politique et légal.

Si cette loi fut le déclencheur de la colère, elle n’est toutefois qu’un élément d’une stratégie plus large, ne faisant que concrétiser les engagements pris nationalement et internationalement par l’État guatémaltèque. Plus précisément, elle n’est que le résultat de la logique établie par la Loi de propriété industrielle, modifiée « d’urgence nationale » en 2013 afin de se conformer aux dispositions de l’Accord d’association avec l’Union Européenne. Présentée dans les communautés comme la « mère » de la loi Monsanto -dont la fille avait été vaincue mais qui pouvait enfanter de nouveau-, la loi de propriété industrielle devient ainsi le principal objet de la seconde phase de la lutte.

Le résultat de la rencontre de Chimaltenango fut ainsi la convocation d’une journée nationale d’action le 17 septembre, afin de dénoncer la loi de propriété industrielle ainsi que l’ensemble des lois allant à l’encontre des intérêts de la population, notamment paysanne et autochtone. Cette journée d’action fut marquée par une
cinquantaine de rassemblements, assemblées, blocages de routes et manifestations, sur l’ensemble du territoire national(1). Une mobilisation inédite qui démontre la prise de conscience du fait que, en dépit des caractéristiques propres à chaque communauté, les attaques subies par les paysans et les peuples autochtones sont le produit d’une même politique menée depuis le plus haut niveau de l’État. « Je crois que c’est la première fois que s’unit la région Ixil, car ce n’est pas le problème d’une seule communauté, il nous concerne tous. Beaucoup de gens qui ont participé ne savent ni lire ni écrire, mais ils connaissent l’histoire, ils savent ce qui se passe et les problèmes qui affectent le Guatemala », exprimait l’un des organisateurs du rassemblement organisé sur la place principale à Nebaj. Au-delà de la démonstration de force et d’unité régionale, ce rassemblement fut également l’occasion de mettre en commun et en relation les diverses menaces en présence, depuis la privatisation des semences jusqu’à l’exploitation minière à ciel ouvert, en passant par l’installation de centrales hydroélectriques.

Les raisons d’un succès

« Unis dans la lutte pour les semences ancestrales Monsanto = mort ». Photo de Cristina Chiquin pour Mujeres Ixchel

Comment expliquer le succès de la mobilisation contre la loi Monsanto ? En premier lieu, les organisations paysannes et autochtones ont su amplement faire comprendre que la loi en question mettait directement en jeu le principal moyen de subsistance et le centre-même du mode de vie des communautés rurales, des « hommes et femmes de maïs ». En s’attaquant au maïs, dont des épis étaient régulièrement brandis lors des manifestations, la loi a été perçue comme une menace directe contre les paysans, les convainquant de se mobiliser. Comme l’illustre l’exemple de la région Ixil, le caractère général de la menace a permis de surmonter l’obstacle des particularismes locaux et culturels, permettant ainsi une mobilisation nationale. Selon Mario Itzep, coordinateur de l’Observatoire autochtone, la loi « met en danger la souveraineté alimentaire non seulement des peuples autochtones, mais de toute la population du pays »(2). C’est donc parce qu’elle représentait à la fois une menace directe, générale et facile à comprendre que la « loi Monsanto » a rallié contre elle une majorité de la population, y compris urbaine, et généré une mobilisation, rarement égalée, depuis la « Marche Autochtone, Paysanne et Populaire », de 2012(3).

En dehors de la loi elle-même, le contexte économique, social et politique général du pays, de plus en plus tendu, permet également de comprendre les raisons de l’ampleur de la mobilisation, qui dénonçait aussi le non-respect systématique du
droit à la consultation des peuples autochtones sur les questions les concernant, la loi de Servitude Obligatoire, la « loi de dos d’âne » ou encore la « loi Tigo »(4). Les dates des 17 et 18 septembre coïncidaient de plus avec l’examen au Congrès de la Loi de Développement Rural Intégral, prévue par les Accords de paix de 1996 mais jamais adoptée. C’est donc sur un terrain fertile que la loi Monsanto a cristallisé de nombreux et divers mécontentements accumulés mais jusqu’ici en grande partie isolés les uns des autres. La rapide abrogation de la loi, obtenue le 3 septembre de députés ouvertement fébriles devant le mouvement de contestation, a représenté aux yeux d’un grand nombre de Guatémaltèques la possibilité de remporter des victoires importantes face aux puissants intérêts imposant leur volonté au pays, à la condition de construire une mobilisation au niveau national sur des bases claires, sur lesquelles s’articulent des revendications certes spécifiques, mais produit d’une même politique au service de quelques-uns.

La poursuite du mouvement en dépit de l’abrogation de la loi montre l’exaspération croissante d’une partie toujours plus grande de la population, qui voit simultanément ses conditions de vie se dégrader et les espaces de revendications se fermer. Ainsi, les journées des 17 et 18 ne se sont-elles pas déroulées sans heurts, les principaux médias de communication présentant les actions revendicatives comme une atteinte au droit de libre circulation de la part de groupes minoritaires et justifiant de la sorte l’intervention violente de la police en de nombreux points. Un exemple parmi d’autres de la répression fut l’arrestation de cinq personnes qui bloquaient un pont dans la ville de Camotán (Chiquimula), dont la journaliste communautaire Norma Sancir, qui couvrait les évènements.

Au renforcement de la contestation dans le pays répond donc une politique étatique de plus en plus répressive et autoritaire. Pour préserver leurs intérêts, jusqu’où seront prêts à aller le gouvernement et ses sponsors ? Face à un contexte de plus en plus adverse, le mouvement populaire réussira-t-il à faire fructifier sa récente victoire ?

1. « 50 concentraciones : miles de voces : una misma resistencia », Centro de Medios Independientes, 18.09.14.
2. « Ley privatizaría semillas nativas », Prensa Libre, 19.08.14.
3. « Marcha Indígena, Campesina y Popular llega a la Capital », MiMundo.org,27.03.12.
4. Sur la Loi de Servitude Obligatoire, voir MATTEONI Pauline, « L’électricité oui, mais à quel prix ? », Solidarité Guatemala, n°209. La Loi pour la Circulation par Routes Libres de tous Types d’Obstacles, ou « Loi dos d’âne », est accusée de restreindre le droit de manifestation au nom de la libre circulation des personnes et marchandises. La loi sur les télécommunications, ou « loi Tigo », contre laquelle de nombreux recours ont été déposés par divers secteurs, viole entre autres, l’autonomie municipale, et permet l’installation d’antennes sur des terrains (privés ou municipaux) sans le consentement des propriétaires.

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