Ixquisis : des recours légaux contre des violations systématiques des droits humains

La microrégion d’Ixquisis se situe à l’extrême nord du département de Huehuetenango, à quelques kilomètres de la frontière mexicaine et à deux jours de trajet de la capitale. Elle est composée de dix communautés et hameaux, la population étant formée des peuples Maya Chuj, Q´anjob´al et Akateko, et Mestizo. Depuis 2010, un projet de barrage hydroélectrique menace les communautés et l’environnement sur ce territoire.

Fausses promesses, trafic d’influences et non-respect de l’opinion de la population locale

Depuis l’arrivée de l’entreprise Energía y Renovación S.A. (antérieurement Promoción y Desarrollos Hídricos S.A.) sur le territoire en 2010, une partie de la population affirme de manière pacifique son mécontentement face aux multiples violations de leurs droits. L’entreprise a débuté l’installation de trois projets hydroélectriques sur le territoire sans respecter la consultation populaire de bonne foi réalisée en 2009, lors de laquelle la population locale exprimait à 99% son refus à la concession de licences de reconnaissance, d’exploration et d’exploitation des ressources naturelles sur leur territoire. Ce non-respect est une violation directe de la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail, relative aux droits des peuples indigènes et tribaux, ratifiée par l’Etat guatémaltèque en 1996.

A cette violation s’ajoutent les multiples irrégularités dans le processus d’attribution des licences pour la construction des dits projets, telles que le manque de sécurité juridique quant aux titres de propriété des terres, l’absence d’approbation des études sur l’utilisation et l’altération des sols, les études d’impact environnemental bâclées ou encore le trafic d’influence. Aucun processus de consultation n’a été réalisé par le Ministère de l’Energie et des Mines (MEM) – institution en charge de régulariser les projets hydroélectriques – avant d’octroyer les licences. Depuis la première arrivée de l’entreprise dans la région, son discours envers la population locale repose sur de fausses promesses telles que l’engagement à réaliser des projets de développement sociaux et d’infrastructure qui n’ont jamais vu le jour. L’entreprise a également fait la promotion de ses projets en affirmant que les communautés environnantes bénéficieraient d’un service électrique à moindre coût, promesse non compatible avec les lois guatémaltèques qui prévoient que la production et la distribution de l’électricité ne peuvent être opérées par la même entreprise.
De plus, les opérations de chantier réalisées par l’entreprise ont pour effet d’altérer le territoire, entraînant des conséquences sociales, environnementales et économiques majeures. La pollution engendrée par les travaux et la déviation imminente des cours d’eau Pojom, Negro et Yalwitz laisseraient quatre communautés sans accès à l’eau, aggravant la situation de précarité dans laquelle vit actuellement la majorité de la population. Des cas d’empoisonnement ont été dénoncés par les habitant.e.s de divers hameaux suite au déversement de produits toxiques dans les cours d’eau.

La résistance répond par des actions pacifiques et des recours légaux

En exerçant son droit à la libre manifestation et en faisant appel à des recours légaux, la population en résistance revendique pacifiquement ses droits et exige la cessation des travaux ainsi que le retrait de la Police Nationale Civile (PNC) et de l’armée, dont les locaux se situent sur le terrain de l’entreprise.
Une action de recours (amparo) contre les licences d’exploitation du barrage hydroélectrique Pojom II est actuellement en attente de résolution dans les tribunaux nationaux.
Le 31 janvier 2019, le Mécanisme Indépendant de Consultation et d’Enquête (MICI) de la Banque Interaméricaine de Développement (BID), a donné suite à une plainte déposée en août 2018 par les populations affectées. La BID finance l’entreprise à hauteur de 13 millions de dollars aux côtés notamment de la Banque Centraméricaine d’Intégration Economique (15 millions) et de la banque allemande KfW (25 millions), à travers son intermédiaire canadien Cordiant. Les parties plaignantes sollicitaient une enquête et le retrait de l’investissement de la BID en raison du non-respect des propres politiques opérationnelles de la Banque.
En reconnaissance de leur lutte pacifique contre l’implantation de l’entreprise sur leur territoire, la Résistance Pacifique de la Microrégion d’Ixquisis a obtenu en Juin 2018 le prix Front Line Defenders [1].

La répression comme réponse à la résistance pacifique

Depuis l’arrivée de l’entreprise en 2010 et particulièrement depuis l’été 2018, la population a été la cible de constantes campagnes de désinformation, de diffamation et de criminalisation. La diffamation constitue l’une des premières étapes, avant d’éventuelles mesures pénales, pour délégitimer et entraver la lutte des défenseur.e.s. Les médias jouent un rôle clé dans ce type de processus dont l’objectif est aussi d’intimider et d’atteindre les défenseur.e.s, les rendant ainsi plus vulnérables. La criminalisation suit un modèle qui se reproduit dans le reste du pays et qui repose sur un usage abusif du système juridique, des accusations sans fondement et des procès pénaux reportés indéfiniment. A cette stratégie s’ajoute la division de la population locale, qui crée des conflits entre les communautés, entre les familles ainsi qu’au sein même de celles-ci, générant tensions et violences.
En juillet et octobre 2018, à l’occasion de piquets pacifiques, le droit à la libre manifestation et à la libre circulation de la population a été bafoué par un usage excessif de la force de part de la Police Nationale Civile. Lors de ces agressions, trois des six blessé.e.s ont dû être hospitalisé.e.s et divers manifestant.e.s ont été intoxiqué.e.s au gaz lacrymogène.
A ces répressions s’ajoutent des agressions physiques répétées et des attaques à main armée envers des membres de la Résistance Pacifique. L’augmentation des violences et des tensions dans la Microrégion culmine avec l’assassinat de 4 personnes en l’espace de 4 mois. En octobre 2018 et janvier 2019 deux personnes liées à l’entreprise (dont un travailleur de celle-ci) ont été retrouvées mortes. La Résistance Pacifique a réitéré à diverses reprises ne pas être à l’origine de ces assassinats. Cependant, les institutions de l’Etat se basent sur ces assassinats pour justifier une présence accrue de forces armées dans la région.

En décembre 2018, les frères Néri Estéban Pedro et Domingo Estéban Pedro, proches du mouvement de résistance, ont été retrouvés assassinés suite à une querelle avec un ancien travailleur de l’entreprise.
Ces incidents rappellent la mort, en janvier 2017, de Sébastian Alonzo Juan (72 ans), membre de la résistance tué par balle lors d’une manifestation pacifique. Deux ans plus tard, son assassinat n’a toujours pas donné lieu à une enquête.

Depuis octobre 2018 on observe la réapparition d’un groupe armé dans la région, responsable de la destruction d’une grande partie des installations de l’entreprise. La résistance pacifique réitère son engagement pour une lutte non-violente et confirme ne pas être à l’origine de ces destructions. Cependant, la présence de ce groupe, de même que les incidents violents des derniers mois, sert de justification pour une présence croissante des forces de l’ordre dans la région et des actions d’intimidation menées par celles-ci à l’encontre de la population locale.
Le 2 février dernier, les habitants du hameau de San Francisco, situé à proximité immédiate des installations de l’entreprise (terrain convoité par Energía y Renovación S.A. pour cette raison) ont dénoncé publiquement une action d’intimidation par les forces armées guatémaltèques. A cette occasion, une trentaine de militaires se déplaçant en véhicules privés ont encerclé les maisons, intimidant les familles du hameau. Ce n’est pas la première fois qu’une telle action est menée et les habitant.e.s dénoncent une stratégie visant à les déloger de leurs terres.
Parallèlement, le 4 février, un important déploiement de l’armée a été observé à San Mateo Ixtatan, chef-lieu de la région.

Face aux multiples agressions dont souffre la population locale, autant aux mains des forces de sécurité privées de l’entreprise et de ces partisan.ne.s que des forces de l’ordre de l’Etat, la résistance pacifique ne peut qu’espérer que les recours légaux présentés contre les licences ainsi que contre le financement de la BID portent leurs fruits.

ACOGUATE réalise une observation internationale et accompagne les personnes défenseures des droits humains dans la micro-région de Ixquisis depuis 2016. De nombreux.ses volontaires du Collectif Guatemala ont réalisé leur mission d’accompagnateur.rice international.e dans cette région, qui est historiquement liée au Collectif Guatemala, comité de ACOGUATE qui a porté beaucoup d’intérêt à l’observation des premiers processus de consultations communautaires et documenté les luttes pour la défense du territoire dans la région.

1. Association enregistrée en Irlande en 2001, spécialisée dans la défense des droits humains à l’international et possédant notamment un partenariat avec le Conseil de l’Europe.

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