Bilan 2009 de la violence au Guatemala : une augmentation préoccupante

Comme chaque fin d’année, le Guatemala compte ses morts. Et comme chaque début d’année, différentes organisations dévoilent leur bilan de l’année passée concernant la violence. A coup de chiffres effrayants, chacun essaie d’expliquer pourquoi la violence a augmenté, pour la dixième année consécutive. Cette année, ni le gouvernement, ni la Police nationale civile (PNC) n’ont publié de chiffres officiels sur le nombre de morts. Des sources internes de la police indiquent 6 472 homicides entre janvier et décembre 2009. Malgré ce manque d’information claire et alors même que la loi sur l’accès à l’information publique a été votée en cours d’année, le gouvernement se targue d’avoir réussi à combattre la violence et à la faire reculer. « Un nouveau Guatemala est en train de naître », comme l’annoncent les affiches du gouvernement dans tout le pays. Et pourtant, plus de 6 000 morts dans un pays comme le Guatemala, ce serait équivalent à plus de 25 000 morts par an en France(1).

Bilan global de l’année 2009

Morts violentes 2009. Source : GAM.

Parmi ces quelques 6 472 homicides, le Groupe d’appui mutuel (GAM) en reconnaît 3 949 comme étant des morts violentes, c’est-à-dire, excluant les homicides involontaires et ne comptabilisant que les meurtres. (Voir le tableau ci-contre)

Toujours selon les analyses du GAM, ce chiffre représente une augmentation de 20% par rapport à 2008, soit 644 morts supplémentaires. Ce point de vue est intéressant si on le compare avec celui du gouvernement. En effet, ce dernier calcule à peine 5% d’augmentation des homicides sur 2009, car il inclut dans les chiffres les homicides involontaires. Cela donne alors une impression de réduction de la violence et de la criminalité, en inadéquation totale avec la réalité vécue des Guatémaltèques.

Cette augmentation est d’autant plus inquiétante qu’elle ne montre pas de signe de reflux. En outre, 2010 étant une année pré-électorale, on peut s’attendre à une nouvelle année de violence en hausse, sans que les pouvoirs publics ne parviennent à mettre en place des politiques efficaces pour lutter contre la criminalité.

Pourtant, différents événements de 2009, conjugués à la pression de différents acteurs de la société civile (églises catholique et protestante, Université de San Carlos, Bureau du procureur des droits de l’homme, etc.) avaient poussé le gouvernement à instaurer une table de dialogue sur le problème de la sécurité et de la violence, dialogue qui avait donné naissance à l’Accord national sur la sécurité(2). Cet accord, constitué principalement de réformes institutionnelles qui permettraient le fonctionnement réel du système de justice, proposait des mesures phares qui n’ont jusqu’ici pas été mises en œuvre. C’est notamment le cas de la création du ministère de la Sécurité. Mieux encore, le budget alloué au ministère de l’Intérieur a été réduit. Au travers de ces décisions, on peut se demander quelle est la stratégie sécuritaire du gouvernement Colom. En effet, au-delà de campagnes de publicité et de débats nationaux sur le thème de la violence, la réponse du gouvernement en matière sécuritaire est loin d’être claire. Discours d’un côté, actions de l’autre. Réduire le budget du ministère de tutelle de la police nationale est un signe que la volonté du gouvernement n’est pas aussi forte qu’elle puisse sembler à première vue. Surtout, à y regarder de plus près, on constate que si stratégie il y a, elle est plus proche de celle des gouvernements antérieurs que de celle d’un gouvernement social-démocrate comme se voudrait Colom et ses comparses de l’UNE (Union nationale de l’espérance). Ainsi, Colom a favorisé tout au long de l’année 2009 le ministère de la Défense, notamment au travers de transferts de budgets d’un ministère à l’autre. En outre, 2009 a été l’année de la réouverture de différentes brigades et détachements militaires, comme celui de Playa Grande en Ixcán, qui n’avait plus été en service depuis la fin du conflit armé. « L’armée au service de l’humanité »(3), selon les propres mots du Président, aura donc à charge de protéger plusieurs départements qui ont en commun le fait d’être sur le passage de la « Frange transversale du Nord », méga-projet de communication routière et énergétique qui reliera le Mexique à la côte Atlantique du Guatemala.

Un autre détachement militaire est prévu à San Marcos et à Izabal, deux régions qui connaissent actuellement une augmentation conséquente de la conflictualité sociale, due en particulier à l’installation ou la continuation de projets d’exploitation des ressources naturelles.

Remilitarisation du pays et criminalisation du mouvement social

Dans ce contexte, la remilitarisation du pays peut être vue comme une manière pour le gouvernement d’assurer ses arrières en cas d’aggravation des conflits sociaux. Cependant, les raisons officielles sont d’assurer la sécurité des citoyens et de lutter contre le narcotrafic. En outre, il est vrai que dans nombre de régions, la population demande la présence de l’armée pour maintenir l’ordre et la sécurité. Si cela peut sembler surprenant dans un pays qui a connu 36 ans de guerre civile et dont certains membres de l’armée sont accusés de crimes contre l’humanité pour génocide, la réalité est qu’une partie de la population a davantage confiance en l’armée qu’en la police considérée, à juste titre, comme une institution corrompue et inefficace.

S’ajoute à cette remilitarisation du pays un autre moyen par lequel le gouvernement entend assurer et maintenir la « paix sociale », c’est l’instauration d’états d’urgence. L’état d’urgence est un recours exceptionnel par lequel un État entend répondre à une situation de danger immédiat et d’ampleur pour le pays. Il permet aussi de restreindre les libertés individuelles et constitutionnelles des citoyens, telles que : la liberté de réunion et de manifestation, la liberté d’expression, la liberté de mouvement, etc.

Or, le président Colom fait un usage quelque peu différent de l’état d’urgence. Sous couvert de maintenir la sécurité et la gouvernabilité et de lutter contre le narcotrafic, Colom déclare et prolonge les états d’urgence à n’en plus finir. Ainsi, Coatepeque a été maintenu 8 mois sous état d’urgence, en raison du conflit entre la municipalité et les commerçants. A San Juan Sacatepequez en 2008, le gouvernement avait également utilisé cette stratégie pour « apaiser » le conflit social, et en avait profité pour arrêter plus de 80 leaders communautaires en résistance contre le projet de cimenterie « Cementos Progreso ». Enfin, l’exemple le plus récent est celui du département de San Marcos. Suite à des blocages de route en décembre dernier, Álvaro Colom a de nouveau usé de son pouvoir pour décréter l’état d’urgence dans tout le département. Prolongé tous les 15 jours depuis le 22 décembre, il est toujours en vigueur au moment d’écrire ces lignes.

Les blocages de route à l’origine de ce décret étaient liés au conflit existant entre la population et l’entreprise espagnole Unión Fenosa dont la filiale, DEOCSA, est chargée de la distribution de l’énergie électrique dans le département. Depuis des années déjà, un mouvement de base d’ampleur revendique le droit à une gestion publique de la distribution électrique, à travers la création d’entreprises municipales. Les revendications portent également sur les mauvais services de l’entreprise et surtout, sur les tarifs pratiqués, jugés beaucoup trop élevés pour une population qui n’a souvent qu’une ampoule ou deux dans la maison. Cette lutte sociale a notamment été menée à travers l’arrêt des paiements des factures à l’entreprise. Ainsi à Malacatán, plus de la moitié des usagers ne paie plus ses factures à DEOCSA et tente de mettre en œuvre un réseau « pirate » de distribution.
C’est à la suite d’une coupure générale d’électricité que les habitants de différentes localités de San Marcos ont commencé à protester et à occuper les axes routiers menant au Mexique, bloquant de ce fait tout le commerce entre les deux pays. Face à cette situation, la décision de l’exécutif a donc été de décréter l’état d’urgence. Pourtant, 15 jours après et alors que l’ordre était rétabli, l’état d’urgence est prolongé de 15 jours.

C’est pendant ces 15 autres jours que sera assassinée Evelinda Ramírez Reyes, militante du FRENA (Front de résistance pour la défense des ressources naturelles) et du CUC (Comité d’unité paysanne). Prise dans une embuscade alors qu’elle revenait d’une série de réunions sur le problème de Unión Fenosa à la capitale, l’état d’urgence n’a semble-t-il pas suffi à assurer sa sécurité. Par contre, il a bien empêché toute manifestation de la population pour protester contre son assassinat, qui montre pourtant tous les signes d’une exécution ciblée.

Situation des défenseurs des droits humains en 2009

L’assassinat de Evelinda Ramírez débute tristement l’année 2010 pour les défenseurs des droits humains au Guatemala et ne présage pas de changements immédiats mais bien au contraire, montre que la tendance ne fléchit pas. Selon le dernier rapport de UDEFEGUA(4), 15 personnes ont été assassinées en 2009 pour le travail qu’elles effectuaient en faveur des droits du territoire, droits des peuples autochtones, droits économiques, sociaux et culturels. Au-delà des morts, 353 agressions ont été recensées contre des activistes, ce qui représente une augmentation de 36% par rapport à 2008.

Le secteur le plus touché par les attaques est celui des activistes luttant contre l’impunité et pour la justice (91 attaques, soit une augmentation de 303% par rapport à 2008). Viennent ensuite les syndicalistes (augmentation de 255%) et les journalistes (augmentation de 358%).

En outre, il est intéressant de noter que les défenseurs des droits politiques et civils et des droits économiques, sociaux et culturels sont victimes d’attaques et de menaces dans les mêmes proportions. Cela signifie une augmentation des attaques contre les personnes revendiquant les droits du territoire en défense des droits des peuples autochtones. Cela a été plus particulièrement vrai en 2009 dans quelques cas emblématiques de défense du territoire et lutte contre les méga-projets.

Alors que la situation ne s’est guère améliorée à San Juan Sacatepequez, dans le cas de la cimenterie de Cementos Progresos, la situation est également restée très conflictuelle à San Miguel Ixtahuacán, où opère la mine Marlin, de Montana Exploradora (filiale de Goldcorp). En plus de menaces contre les personnes impliquées dans la résistance à la mine, la criminalisation et les tensions sociales se sont accentuées, particulièrement après les événements de Saqmuj, en juin passé, suite auxquels a été émis un mandat d’arrêt contre Crisanta Peréz, déjà poursuivie dans l’affaire de la coupure électrique de l’entreprise(5).

Un autre cas d’ampleur a été l’assassinat, le 27 septembre dernier, de Adolfo Ich, maître d’école de la Unión (Izabal). Sa mort s’est produite lors d’affrontements entre les populations Q’eqchies et les membres de la sécurité privée de la Compagnie guatémaltèque de nickel (CGN), qui souhaite exploiter les gisements de la région et pour ce faire, déloger les habitants de leurs terres. Sa mort a provoqué la consternation et la révolte de l’ensemble du mouvement social guatémaltèque et a ainsi avivé un peu plus la conflictualité déjà très forte existante autour de ce projet.
Enfin, un autre cas d’importance a été l’assassinat, le 24 octobre 2009, de Víctor Gálvez, leader du mouvement contre Unión Fenosa à Malacatán. Abattu en plein jour par plus de 30 balles, le cas n’a toujours pas avancé jusqu’à aujourd’hui(6). La mort récente de Evelinda Ramírez rappelle également que le mouvement reste menacé pour le travail effectué en faveur d’un service public de l’énergie. Cependant, l’État échappe une fois de plus à son rôle de protecteur de la population et préfère déclarer des états d’urgence. Dans le contexte de Malacatán, comme dans beaucoup d’autres endroits du Guatemala, le risque est que cette région se transforme en zone de non-droit dans laquelle puissent opérer librement des acteurs tels que les bandes organisées ou les narcotrafiquants, généralement en bonne entente avec des dirigeants politiques corrompus ou achetés. La présence de ces acteurs, si elle n’est pas nouvelle au Guatemala, tend à se généraliser et à s’étendre sur l’ensemble du territoire. Elle est sans aucun doute un défi pour toutes les organisations de droits humains travaillant dans le pays et qui doivent s’adapter à cette nouvelle configuration des pouvoirs locaux.

Perspectives

Que l’on interroge telle ou telle organisation de défense des droits humains au Guatemala, une chose semble sûre : les perspectives de changement pour 2010 sont limitées. D’une part car il n’y a pas de signe réel d’une volonté politique de changement mais aussi, car 2010 est une année pré-électorale. Or, ces années-là sont réputées pour être particulièrement difficiles pour les défenseurs des droits humains et pour l’ensemble de la population en général.

Un espoir reste permis avec le travail effectué par la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG). Après l’affaire Rosenberg, la CICIG évalue les possibilités de se charger du cas de Víctor Gálvez et de Evelinda Ramírez, ainsi que d’autres cas d’assassinats de défenseurs. Cette perspective engendre évidemment de l’espoir pour les familles et les compagnons de lutte, puisque seule la CICIG semble à l’heure actuelle suffisamment indépendante et professionnelle pour mener à bien une enquête de ce type. Néanmoins, il ne faut pas oublier que la CICIG a également des moyens limités et surtout, un mandat qui se termine dans un an et demi(7). Que restera-t-il alors si ce n’est un système de justice inopérant, dans ce pays où seuls 2% des crimes sont résolus ?

C’est bien à l’État d’avoir une volonté forte de changement qui lui permette de mettre en œuvre les mesures définies dans l’Accord national de Sécurité, afin de faire le ménage dans les différentes institutions de l’État et rétablir la confiance auprès de la population. UDEFEGUA, dans son dernier rapport, rappelle également l’importance que le gouvernement approuve l’institutionnalisation de l’Instance d’analyse des attaques contre les défenseurs de droits humains(8) ainsi que la création du Programme de protection des défenseurs des droits humains, aucun programme de ce type n’existant pour l’heure dans le pays. Cependant, à un an des élections présidentielles, il paraît peu probable que le gouvernement Colom change de cap, au risque de provoquer un échec et de remettre en cause la candidature (presque) annoncée de son épouse Sandra Torres, que certains sondages donnent déjà gagnante.

Le travail de la société civile et de ses différentes expressions restera donc d’une importance capitale afin de réclamer les changements dont le pays a besoin et de peser dans les différentes décisions du gouvernement afin que la dernière année du mandat de Colom ne soit pas en vain et que puissent être mises en œuvre les mesures nécessaires pour la consolidation de l’État de droit au Guatemala.

1. Alors que le nombre d’homicides en France oscille entre 700 et 1 000 par an. Source : ministère de l’Intérieur. Voir chiffres de la criminalité en 2009.
2. Voir ici.
3. El Periódico, « Le Président rouvre la brigade militaire en Ixcán, Quiché ». 3 décembre 2009.
4. Unité de protection des défenseurs des droits humains au Guatemala. Rapport sur la Situation des défenseurs, réponse à 10 ans de lutte.
5. Voir la vidéo « La compagnie Gold Corp SA contre 8 femmes Mayas ».
6. Le 17 février de cette année, Octavio Roblero, dirigeant de FRENA et beau fils de Victor Galvez a été assassiné à Malacatan NDR.
7. Le mandat de la CICIG termine officiellement le 4 septembre 2011.
8. L’Instance d’analyse des attaques aux défenseurs de droits humains, avec l’Unité des droits humains de la DINC (Département d’enquête de la Police nationale civile-PNC) travaillent notamment pour améliorer et rendre effective la coordination entre le ministère de l’Intérieur, la PNC, la Direction générale du renseignement civil (DIGICI), la société civile, le Bureau du procureur général et la communauté internationale.

Plus :

Le 23 février dernier, une lettre ouverte, signée par 59 organisations de différents pays, a été envoyée au Président Colom sur l’initiative du Collectif Guatemala.

Cette lettre ouverte a comme objectif de dénoncer les assassinats de trois des dirigeants du FRENA : Víctor Gálvez le 24 octobre 2009, Evelinda Ramírez le 13 janvier 2010 et Octavio Roblero, le 17 février dernier.

Cette vague d’assassinats est en lien avec la lutte que mène le FRENA depuis plusieurs années contre la présence de la multinationale Unión Fenosa (de capital espagnol), et de sa filiale locale DEOCSA, sur leur territoire.

Les revendications portent principalement sur la mauvaise qualité du service de distribution d’électricité assurée par DEOCSA mais aussi sur les prix excessifs pratiqués par cette dernière. La proposition du FRENA est la mise en place d’entreprises municipales de distribution électrique, gérées de manière partagée entre la municipalité et la société civile.

Or, depuis décembre 2008, la seule réponse de l’État à ces revendications a été la criminalisation du mouvement, par l’émission de mandats d’arrêt contre les leaders du mouvement et plus récemment, par l’instauration d’un État d’urgence dans l’ensemble du département de San Marcos, aujourd’hui en vigueur depuis plus de 2 mois.

C’est pourquoi les organisations signataires de la lettre réclament au gouvernement de porter son attention sur ce problème, de lever l’état d’urgence et de ne pas laisser ces trois meurtres dans l’impunité.

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